Le contrat était attendu de longue date et a finalement été annoncé le 4 octobre dernier : Les avions de patrouille maritime Atlantique 2 de la Marine nationale vont être modernisés, afin de prolonger leur durée de vie jusqu’en 2030. Dassault Aviation, Thales, la DGA et DCNS vont ainsi travailler de concert afin d’offrir une seconde vie à 15 des 22 avions en service au sein des flottilles 21F et 23F de la Marine nationale basées à Lann-Bihoué. L’occasion de revenir plus en détails sur le chantier de modernisation et plus largement sur les enjeux des capacités de patrouille maritime à l’heure actuelle et dans le futur.
Un chantier de modernisation nécessaire
Quinze Atlantique 2 vont donc subir des modifications en profondeur, et notamment la modernisation des systèmes de mission, comprenant le système tactique de mission, les sous-systèmes capteurs et les consoles de visualisation, ainsi que le remplacement du radar. Il s’agit plus précisément du changement de calculateur tactique et du logiciel de traitement de l‘information tactique. Tout l’enjeu est de rendre les nouveaux équipements « compatibles avec les sous-systèmes qui ne sont pas changés, comme la guerre électronique, l’armement et le système de navigation, pour ne pas avoir à tout requalifier par la suite » explique un officier-programme de la Marine nationale. Un processus considéré comme trop long et trop cher, au vu des restrictions budgétaires et du temps imparti.
Le chantier de modernisation est estimé à 400 millions d’euros, répartis entre Thales, DCNS et Dassault Aviation. L’avionneur sera d’ailleurs chargé de l’intégration de l’ensemble des nouveaux équipements et un premier avion devrait être livré au second semestre 2018. L’opération devrait être achevée en 2023. Les essais en vol devraient durer environ deux ans, en parallèle du développement. « Dès qu’on aura un équipement significatif, on le testera en vol, afin de ne pas perdre de temps et faire démarrer les kits le plus vite possible » selon un proche du dossier, qui précise que le développement du prototype qui servira de « banc d’essai » se passera à Istres, tandis que les modifications de série se feront à Bordeaux. « La phase d’essais en vol sera moins longue, car l’avion a déjà volé, ce qui accélèrera d’autant le processus de certification de l’avion en cohérence avec le cahier des charges. »
Afin de ne pas perturber l’activité opérationnelle des flottilles, la disponibilité des avions et le cycle de maintenance, la modernisation des ATL2 se fera pendant les visites d’entretien majeur (qui ont lieu tous les 72 mois), le chantier devrait durer entre un an et un an et demi par avion.
Les Atlantique 2 qui ne seront pas modernisés ne seront toutefois pas relégués au hangar, puisqu’ils effectueront toujours des missions de surveillance maritime et de lutte au-dessus de la surface. « Il y a largement du travail pour eux », assure-t-on à la Marine nationale.
La patrouille maritime, une capacité essentielle à conserver
L’ensemble des acteurs, militaires, industriels, politiques, s’accordent à dire que les Atlantique 2 et leurs capacités de surveillance et de frappe (ils peuvent emporter des GBU-12, des missiles Exocet et des torpilles MU90 ou Mk46) sont essentiels pour la Marine nationale et donc pour sauvegarder les intérêts de la France en mer – et parfois même au-dessus du désert comme cela a été le cas au Mali par exemple.
L’Atlantique 2 est « un appareil qui coûte cher », selon le sénateur Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, « ceci dit c’est un bon appareil », qui joue surtout « un rôle fondamental pour ses missions principales : le combat au profit de la FOST (Force océanique stratégique), mais aussi secondaires : le renseignement dans les zones d’engagement. L’ATL2 remplace nos drones de surveillance ». Lors de la présentation du 35ème rapport d’ensemble du comité des prix de revient des fabrications d’armements, Daniel Reiner pointait certes du doigt les coûts élevés du programme – 12 milliards d’euros sur 40 ans – mais soulignait également « l’efficacité de ce chasseur remarquable et redoutable ». « Tout le monde se posait la question de savoir s’il était raisonnable d’entreprendre cette rénovation coûteuse. Jacques Gautier (également vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat) et moi-même sommes allés sur place pour voir ce qu’il en était et notre conclusion a été de dire qu’il n’était pas déraisonnable de se lancer dans ce programme de rénovation, que c’était une opération qui en valait la peine. »

Photo © Marine nationale / Jean-Jacques Le Bail
« L’investissement est conséquent, mais surtout, la lutte anti-sous-marine (ASM) est une préoccupation majeure de toute marine océanique en général, de la Marine nationale en particulier » nous dit-on à l’état-major de la marine. « Les sous-marins sont de plus en plus discrets et sont de plus en plus capable d’atteindre l’espace littoral, ce qui nécessite d’autant plus de protection des moyens tels que le porte-avions par exemple. » La complémentarité de l’action de l’hélicoptère, « on ne sait pas le faire rester dix heures en l’air ni transiter à 300 nœuds ni emporter trois tonnes d’armement », et de l’ATL2, « à très long rayon d’action et à très forte capacité de charge utile » permet donc de neutraliser de manière efficace une menace avant qu’elle n’arrive, selon l’officier-programme de la Marine nationale.
« L’arrêt de la rénovation signerait l’arrêt de mort de la patrouille maritime » selon une source interrogée sur le sujet. « La mer représente de grands enjeux et se priver de ce moyen c’est peut-être s’exclure d’un monde en construction », précise-t-elle. La Grande-Bretagne a pourtant suivi le chemin des économies dans ce domaine, en ne renouvelant pas ses capacités de PATMAR lors du retrait du service actif des Nimrod MRA4 en 2010. « On peut comprendre ce choix, facilité par le fait que c’était la Royal Air Force qui était propriétaire des avions et pas la Royal Navy. Du coup, leur CEMAA a sans doute dû se dire que c’était plus intéressant et stratégique de garder des avions de combat plutôt que des avions de patrouille maritime et leur CEMM pouvait difficilement avoir de trop grosses exigences car ce n’était pas lui qui payait » analyse un connaisseur du dossier. L’annonce du lancement du chantier de rénovation des ATL2 le 4 octobre dernier a donc été un soulagement, la décision s’étant longuement fait attendre.
La PATMAR post-2032, grande inconnue
Pour autant, il s’agit aussi de réfléchir à un futur un peu plus lointain, à l’horizon 2032, date à laquelle les ATL2 arriveront véritablement en fin de vie. Et leur trouver un successeur ne sera pas une mince affaire, pour plusieurs raisons : contexte budgétaire, évolution des menaces maritimes, avancées technologiques. Cependant, la capacité devrait être maintenue, reste à savoir sous quelle forme. « Je suis convaincu qu’on continuera à faire de la patrouille et de la surveillance maritime », déclare le sénateur Daniel Reiner, qui ajoute : « ce sera peut-être à bord d’avions pilotés, ou pilotés à distance, peut-être des drones. Il faut qu’on réfléchisse au successeur de l’ATL2, on peut encore reporter un peu la décision, mais ça va arriver rapidement ».
La Marine nationale parle « d’études en interne », un connaisseur précise qu’il faut « spécifier le besoin de PATMAR en 2030 », faire « ressortir les technologies qui resteront acceptables pour avoir une approche globale de la question ». « On n’a pas encore la réponse, parce qu’on n’a pas encore fait le tour complet, on n’a rien exclu ».
Rien n’est encore joué, l’échéance étant encore relativement lointaine, mais une chose est sûre, la France est prête à faire un effort sur la patrouille maritime, afin de ne pas passer sous l’égide des États-Unis. En effet, avec le P-3 Orion de Lockheed Martin et le P-8 de Boeing, l’Atlantique 2 de Dassault Aviation reste l’un des seuls avions à pouvoir effectuer toute une panoplie de missions, que ne peut pas accomplir le CN-235 d’Airbus Military par exemple.
Du côté américain, outre le P-8 Poseidon de Boeing dont l’IOC devrait prochainement être annoncée, Lockheed Martin travaille actuellement sur une version PATMAR de son célèbre C-130 Hercules, le SC-130J Sea Hercules. Celui-ci devrait utiliser les systèmes de missions et les capteurs utilisés sur le P-3 : « Les systèmes de mission et les consoles opérateurs seront palettisés pour permettre différentes configurations afin d’effectuer différents types de missions, dont la lutte anti-sous-marine » explique-t-on chez Lockheed Martin. Des développements présentés par l’avionneur comme un avantage considérable pour les utilisateurs de C-130 qui souhaiteraient acquérir des capacités de patrouille maritime à des coûts raisonnables, au lieu d’utiliser un avion spécifiquement dédié à ces missions, le P-8 de Boeing pour ne pas le nommer. Une idée qui pourrait peut-être faire son chemin de l’autre côté de l’Atlantique, car comme il a été précisé, rien n’est encore exclu…