Le cycle des auditions des principaux industriels de la Défense par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur la Loi de programmation militaire (LPM) touche à sa fin, et permet de se faire une première idée sur les perspectives industrielles du secteur.
La LPM est une loi de transition, et si elle préserve « l’essentiel », selon Patrick Boissier (PDG DCNS) et Marwan Lahoud (directeur France EADS), c’est également un « pari » pour Eric Trappier (Dassault Aviation), dans une situation qui devient « plus compliquée » (Antoine Bouvier, MBDA). Tous ou presque s’accordent pour souligner que le cadrage budgétaire est le bon, malgré la nécessité de rester vigilant sur les efforts qui seront concrètement opérés par le ministère de la Défense en faveur de la R&T, de la R&D et des dépenses d’équipement.
A cet égard, Marwan Lahoud souligne que si aucun programme nouveau n’est prévu dans la présente LPM, ce sera le cas pour la prochaine, et qu’il faut donc commencer à la préparer pour « rester en point en matière de Défense et préserver la capacité d’exportation ».
L’avenir incertain et la baisse généralisée des budgets inquiètent les industriels, qui font part de leurs craintes concernant les livraisons et les acquisitions des différents équipements clés de leur secteur.
Pour DCNS, c’est la réduction du nombre de FREMM. En effet, six frégates doivent être livrées d’ici 2019, deux par la suite, les trois dernières – sur une commande initiale de onze – sont pour l’instant sur la sellette. Une annulation de ces trois exemplaires pourrait coûter 900 millions d’euros selon le patron de DCNS, qui présente une solution alternative, une société de leasing sous contrôle de l’État.
Du côté de Dassault Aviation, la question des 60 Rafale restant à livrer (et donc à payer pour l’État) est pour l’instant non résolue. Vingt-six appareils devraient être livrés d’ici la mi-2016. Eric Trappier garde cependant une once d’optimisme, espérant une nouvelle tranche de Rafale pour atteindre les 225 exemplaires initialement commandés.
Chez MBDA, Antoine Bouvier s’inquiète de la baisse importante de ses différents missiles : 150 MdCN seulement pourraient être commandés et livrés sur la prochaine LPM, la commande d’Exocet MM40 Block 3C, dont l’objectif initial était de 35 exemplaires, pourrait être réduite « de plus de la moitié », les commandes de Mistral pourraient baisser « significativement » au-dessous de 1000 et le Meteor pourrait également subir une baisse, toujours de la moitié. Quant à l’Aster 30 Block 1, la troisième phase, qui comprend 600 exemplaire pourrait également être réduite de moitié.
Pour le PDG de Safran Jean-Paul Hertemann, c’est l’armement air-sol modulable (AASM) qui pose problème, qui « n’est pas loin de constituer un acte anormal de gestion ». Son exportation « presque nulle » et la baisse importante des livraisons jusqu’à 2019 ne contribue pas à rassurer l’industriel.
Chez EADS, c’est l’A400M qui préoccupe Marwan Lahoud. Les livraisons de l’A400M passant de 35 à 15 d’ici 2020, Marwan se dit plus inquiet pour « l’après 2020 », ajoutant qu’une réduction de cible pourrait « perturber l’équilibre du programme ». Car si réduction il y a, les perspectives d’exportation pourraient se réduire en conséquence.
Dans tous ces cas, l’étalement des livraisons a bien évidemment une incidence sur les cadences de production, un problème évoqué par DCNS, Dassault Aviation, MBDA et EADS, qui se préparent à limiter les dégâts comme ils peuvent. Le seul programme à être potentiellement moins touché est l’A330 MRTT. EADS prélevant directement les A330 de la chaîne d’Airbus pour les convertir, les conséquences de la baisse d’une future commande sont plutôt restreintes.
Les drones sont également au cœur des discussions, chez EADS et chez Dassault Aviation. Les deux industriels s’accordent sur le futur MALE : il sera européen ou il ne sera pas. Le retard accumulé face aux États-Unis et à Israël ne semble pas rattrapable, mais la volonté industrielle est bien présente et aux dires de leurs dirigeants, il ne manque que l’impulsion politique et une demande claire pour lancer un véritable projet à l’échelle européenne.
La coopération, un mot qui revient systématiquement depuis quelques temps, en quelque sorte la clé de voûte de tous les futurs programmes. Car, comme le dit Marwan Lahoud, « l’approche nationale est aujourd’hui condamnée faute de moyens, un luxe que nous ne pouvons plus nous payer », sans autre alternative possible. Car quel industriel européen pourrait prétendre, à l’heure actuelle, développer un nouveau programme seul, sur fonds propres ?
