Base aérienne de Marrakech, 11 heures du matin.
La patrouille acrobatique du Maroc a invité l’Equipe de voltige de l’armée de l’air à partager ses locaux. Français et Marocains se retrouveront régulièrement pendant les quatre jours du Marrakech Air Show dans cette grande salle aux hauts plafonds. Les larges canapés en cuir usé, le plateau de pâtisseries et le thé à la menthe incitent à la détente, et c’est donc dans une ambiance très décontractée que se fait la rencontre de l’Equipe de voltige de l’armée de l’air (EVAA). Le capitaine Stéphane Azou, officier des relations publiques des Equipes de présentation de l’armée de l’air, présente toute la petite troupe présente à Marrakech : Le capitaine Fabrice Camliti, commandant de l’EVAA, le capitaine Pierre Varloteaux, qui pilotera l’Extra 330 SC, le lieutenant Alexandre Orlowski, nouvelle recrue chez les pilotes de l’EVAA, le sergent-chef Thierry Vincent, mécanicien vecteur, la sergent-chef Vanessa Imber, spécialiste photo-vidéo, et Gilles Lucazeau, technicien civil détaché de la société Extra Aircraft chargé du maintien en condition opérationnelle (MCO). Ensemble, ils vont s’assurer que les shows quotidiens se déroulent de manière optimale.
Mais avant de décoller, une présentation de l’EVAA s’impose. Elle voit le jour en 1967, sous l’impulsion du CEMAA de l’époque, le général Philippe Maurin. Le 1er mars 1968, l’EVAA s’installe sur la base aérienne 701 de Salon-de-Provence, où elle rejoint la Patrouille de France (PAF). Les deux entités formeront les Equipes de présentation de l’armée de l’air. Cette unité est chargée du rayonnement de l’armée de l’air, aussi bien en France qu’à l’étranger. L’EVAA et la PAF sont les ambassadrices de la France, démonstratrices de la technique et du savoir-faire français en matière d’aviation et de voltige.
A mission spéciale, avions spéciaux. L’EVAA débute sur des Stampe SV4C, remplacés deux ans plus tard par des Cap 10 et des Cap 20. De 1990 à 1998, l’EVVA évolue sur des Cap 230 et 231, avant de passer sur Cap 232. Ceux-ci seront bannis de l’équipe de voltige en 2005, après qu’un accident avait ôté la vie au capitaine Delorme. Les avions actuels, deux Extra 330 SC (monoplace) et un Extra 330 LC (biplace) ont été introduits en 2008. L’Extra 330 SC amené à Marrakech paraît petit, léger et maniable, l’appareil parfait pour exécuter cloches et autres ruades. Mais comment diable est-il arrivé au Maroc ? « Un vol avec plusieurs escales » répond le capitaine Varloteaux en rigolant. Un TB20 a également fait le voyage, afin d’acheminer du matériel.
13h30, la « bête » sort du hangar.
Un des hangars de la base aérienne de Marrakech est « squatté » par l’Extra 330 de l’EVAA. Le sergent-chef Thierry Vincent, dit « Stevie », commence à pousser l’appareil pour l’amener sur le tarmac. Il est rapidement rejoint par des mécaniciens marocains. La marche de l’ombre du hangar vers la lumière de la piste commence.
Une fois sur place, débute l’attente avant le show. Les vérifications techniques ne se feront que peu de temps avant le décollage. L’occasion de revenir sur le processus de sélection des pilotes pour intégrer l’EVAA. « Ça se joue avant tout sur la base du volontariat », explique le capitaine Azou. La direction des ressources humaines de l’armée de l’air lance une prospection dans ses différentes unités. Le processus de sélection s’appuie surtout sur des vols, lors desquels sont évaluées les qualités de pilotage. Lors de la dernière prospection, il y a eu 13 vols de sélection, dont 8 d’instruction. Sur les cinq pilotes qui ont été retenus au départ, deux seulement ont passé l’ensemble des tests et ont été incorporés dans la formation. Le choix final a été fait par l’équipe, sur des critères objectifs de pilotage, mais également sur la capacité à intégrer pleinement un groupe, qui met en avant la solidarité entre ses membres. Car entre les mécaniciens et les pilotes, l’entente et le travail d’équipe sont primordiaux pour assurer la sécurité et la beauté d’un show aérien. Car certains pilotes – dont le capitaine Varloteaux – gravissent également les plus hautes marches des podiums lors de compétitions nationales et internationales.
Entrer dans l’EVAA, « c’est en quelque sorte un engagement dans l’engagement » précise le capitaine Azou, « c’est accepter les fréquents déplacements en France et à l’étranger, ce qui n’est pas toujours évident à gérer sur le plan personnel et familial. C’est toutefois un contrat que nous connaissons bien, puisque nous sommes avant tout des militaires. » Faire partie de l’EVAA, une mission difficile, mais gratifiante.
14h, check-up de l’avion, prière de ne pas déranger le mécanicien.
Il est temps à présent pour le mécanicien de faire le tour de l’avion, un check-up complet pour s’assurer que tout fonctionne bien. « Mon rôle est de détecter à temps toutes les éventuelles pannes, la vérification de l’avion avant le décollage est absolument primordiale » confie le sergent-chef Thierry Vincent. Le rôle du mécanicien est primordial pour le bon déroulement de la mission. « On parle souvent du pilote, mais il ne faut pas oublier que le mécanicien assure la sécurité du vol. Sans lui, le show ne serait pas faisable » rappelle le capitaine Azou. « D’autant plus que sur cette mission, je suis seul à ce poste, j’ai donc plutôt intérêt à assurer » ajoute « Stevie ». Le dicton « mieux vaut prévenir que guérir » prend ici tout son sens, alors que le mécanicien effectue ses vérifications, silencieux, concentré. Ses collègues discutent à côté, mais pas trop près, pour ne pas le déranger. « Interdiction de l’interrompre lorsqu’il coche mentalement tous les points de sa check-list. Les mécaniciens sont tellement rodés à cet exercice de vérification, qu’ils savent immédiatement si quelque chose cloche. Mais le fait de les déranger peut leur faire perdre le fil de la vérification et là, ça peut devenir problématique » indique le capitaine Azou.
14h15, répétition mentale.
Après la vérification mécanique, c’est au tour du pilote de se préparer avant de monter dans l’avion. Le capitaine Varloteaux débute alors un exercice de « répétition au sol », la mentalisation de tous les gestes qu’il va effectuer dans les airs. Une préparation très intéressante à suivre, tant les gestes sont précis. Tout semble réglé comme du papier à musique. Il s’agit de visualiser au sol ce qui se passera dans quelques instants dans le ciel de Marrakech. « Je décolle toujours face au vent, je me projette, là il faut que je fasse attention à la position du soleil, ensuite tonneau… » Le pilote détaille ses gestes au lieutenant Alexandre Orlowski, qui assurera la sécurité du vol à partir du sol.
Ce show, comme l’ensemble des shows aériens, est fixé à l’avance et validé par la commission de sécurité des vols de l’armée de l’air. La trame doit former un ensemble cohérent, correspondre à la mission de représentation, mais également s’adapter au salon et au public.
14h45, « let the show begin ! ».
Les spectateurs sont assis à la tribune, l’équipe de voltige au premier rang. Le capitaine Azou est aux commentaires, le lieutenant Orlowski au point central, la sergent-chef Imber a dégainé sa caméra et son appareil photo, tout est prêt pour le spectacle.
Le capitaine Camliti en profite pour faire un point sur son rôle de « commissaire militaire » lors de déplacements de ce type. Il s’agit de garantir l’emploi des moyens de l’armée de l’air, la sécurité et la logistique, pour que la mission soit assurée. Les variables étant les mêmes partout, le rôle du commissaire militaire est de « mettre de l’huile » dans les rouages, à tous les niveaux.
Le ciel se dégage, le soleil se fait moins timide et réchauffe les épaules. Le petit Extra 330 s’envole dans les airs, prêt à faire la démonstration de sa technique.
Les figures s’enchaînent, tonneau, cloche, tonneau déclenché, tonneau en virage, à en donner le vertige à ceux restés sur terre. Le capitaine Varloteaux virevolte dans le ciel et expose son talent à la vue de tous. Un spectacle impressionnant et éprouvant physiquement pour le pilote, qui peut passer de – 10G à + 10G lors de ses figures. Le vice-champion de France Elite de 2010 participe également à des compétitions de voltige dans le monde entier, il est arrivé cinquième aux championnats du monde en 2009.
15h, fin du spectacle, retour au hangar.
A la fin du show, les applaudissements sont nourris – et mérités. Il est temps à présent de passer à la « visite intermédiaire », qui a lieu toutes les 25 heures de vol. Cette inspection préventive va durer entre 5 et 6 heures, le mécanicien militaire et le mécanicien civil vont travailler de concert pour détecter d’éventuelles failles.
Gilles Lucazeau, le technicien détaché par la société Extra auprès de l’EVAA, est responsable du MCO des trois avions. « Depuis l’accident du capitaine Delorme en 2005, l’armée de l’air s’est dégagée de toute responsabilité de maintenance en ce qui concerne les avions. Depuis, c’est au constructeur de mettre en place un système de maintenance. »
« Stevie » s’affaire autour de l’hélice, Gilles Lucazeau commence à démonter l’avion, « pour voir les entrailles de la bête » comme il dit. Et effectivement, la vision de l’Extra 330 « nu » est plutôt étrange… mais très intéressante.
L’entretien permet de reprendre dès le lendemain et le surlendemain, le même scénario. Les mêmes gestes, les mêmes rituels, la même procédure. Mais le spectacle est, lui, unique à chaque fois.