Après la sidération liée à l’invasion militaire de l’Ukraine, le constat sur les capacités de la défense de l’Europe est vraiment amer. Un grand nombre de pays du continent sont tout simplement incapables d’assurer leur propre défense face à la seule menace de la Russie. La paix du continent, pourtant moteur de la construction de l’Europe, et la chute du mur de Berlin, n’ont finalement laissé la place qu’à un gigantesque marché tourné vers la consommation. On redécouvre alors que la Russie reste une superpuissance nucléaire particulièrement agressive, à seulement un peu plus de deux heures de vol subsonique de Paris.
La France le savait, tout comme le Royaume-Uni, les États-Unis et évidemment Vladimir Poutine : l’Europe de la défense n’existe pas, et la défense franco-allemande n’existe pas non plus. L’Allemagne s’est même fourvoyée en voulant trop dépendre de la Russie pour ses besoins énergétiques, attaquant au passage la politique nucléaire de la France sous couvert de la bien-pensance écologique. Là aussi, les États-Unis ont pratiquement été les seuls à alerter, à plusieurs reprises, sur la trop forte influence du gaz russe sur le continent.
Oui, l’Allemagne redécouvre que le secteur de la défense est important, annonçant une enveloppe supplémentaire de 100 milliards d’euros pour moderniser et renforcer la Bundeswehr. Les budgets de défense des pays d’Europe vont repartir à la hausse, après tant d’années à essayer de couper les cheveux en quatre, faute de vouloir regarder la menace en face. Oui, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen a fait un beau discours sur le fait que l’Europe de la défense doit passer à la vitesse supérieure. En attendant, l’Allemagne a choisi de ne pas moderniser ses hélicoptères Tigre pour l’instant, retarde la signature du contrat SCAF alors que le programme glisse lentement vers une entrée en service dans 20 ans, et s’apprête à commander des dizaines de F-35A pour remplacer ses Tornado, une décision qui ne fait d’ailleurs aucun doute selon le patron de Dassault Aviation Eric Trappier.
Le désormais candidat Emmanuel Macron, très certainement bientôt réélu à sa propre succession, va également redoubler d’effort pour essayer d’imposer sa vision quant à une bien hypothétique autonomie stratégique et militaire européenne. Mais les lacunes de l’après-guerre froide ne sont finalement pas prêtes d’être effacées. L’Europe, on le sait, doit plutôt renouer avec le concept de conflit à haute intensité, même si les moyens doivent maintenant se concrétiser. Peut-être faudra-t-il tout remettre à plat, à l’instar des coûteux programmes de chasseurs de nouvelle génération. La notion d’avion multirôle, propre à l’après guerre froide, et qui consiste finalement en un avion qui fait tout, mais qui se traduit de fait par une réduction des flottes, est sans doute aussi à pondérer.
Quoi qu’il en soit, l’industrie de défense européenne a assurément encore de belles opportunités à saisir et la menace des nouveaux critères ESG, qui touchent en particulier les plus petites entreprises du secteur, pourrait bientôt n’être qu’un mauvais souvenir. Mais l’influence des États-Unis n’a surtout jamais autant marqué de points que ces dernières semaines en Europe, avec toutes les répercussions à attendre sur le plan de futurs contrats. L’OTAN ne battra pas en retraite en Europe, bien au contraire…

