Le Journal de l’Aviation a pu s’entretenir avec le général Pascal Valentin, qui a commandé l’European Air Transport Command (EATC) de juillet 2012 à aujourd’hui. Il revient dans une interview exclusive sur les missions de l’EATC, ainsi que sur les défis présents et futurs de ce commandement qui gère quotidiennement des dizaines de missions de transport au profit des pays partenaires.
Général Valentin, comment s’articulent les missions de l’EATC ?
Les pays membres de l’EATC (l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, ndlr) nous prêtent des moyens aériens, ceux qu’ils veulent et peuvent mettre à disposition et nous donnent de l’autre côté des missions à remplir. A nous ensuite d’optimiser l’emploi de ces moyens pour faire le maximum de missions. Il faut également ajouter que les pays partenaires peuvent « reprendre » les moyens mis à disposition à n’importe quel moment.
En ce qui concerne notre mission opérationnelle, nous avons un cycle de gestion, qui débute avec la planification en amont, six semaines avant la mission. Les pays transmettent leur demande, leurs besoins et nos équipes opérationnelles commencent à planifier la mission, que ce soit pour une relève de la FINUL, le rapatriement de militaires ou le soutien direct des troupes par le biais du transport de matériels. Vient ensuite l’attribution de la mission à un avion précis, qui est disponible à ce moment-là.
A partir de là, c’est le pays qui met en œuvre l’avion qui détermine l’équipage etc. L’EATC n’a pas d’autorité ni sur les équipages, ni sur la maintenance. Ensuite, l’ordre de mission est envoyé, les « clearances » diplomatiques réglées, le chargement finalisé… avant la mission en elle-même le jour J.
Tout ce qui est gestion des problèmes se fait par le centre d’opérations, en alerte 24h/24. Par exemple, si un équipage français est en panne à Dubaï, ou s’il y a un problème sur le plan de vol, le chef de mission appelle chez nous, et nous nous occupons de tout gérer pour que la mission puisse se dérouler de manière optimale.
Comment cela se répercute-t-il concrètement sur le fonctionnement de l’EATC?
Nous organisons environ 50 à 60 missions par jour. La moitié d’entre elles sont des missions d’entraînement et de parachutage, depuis des C-130 ou des CASA. L’EATC gère également des missions VIP, qui ne sont pas nombreuses, mais sensibles, car nous pouvons aussi bien transporter des membres de la commission de défense du Bundestag que le roi des Belges ou encore le secrétaire général de l’OTAN. Pour cela, nous utilisons la flotte VIP de la Belgique, parfois de l’Allemagne. Et enfin, nous avons des missions de transport temps de paix en Europe et de soutien aux opérations, principalement vers l’Afghanistan, le Kosovo et l’Afrique. Ce sont surtout des relèves, des changements d’avions etc.
L’EATC gère aussi les missions de ravitaillement, que ce soit pour de l’entraînement ou des convoyages d’avions de chasse, principalement belges et hollandais vers l’Afghanistan ou les États-Unis en cas d’exercices. Pour l’anecdote, les Pays-Bas mettent actuellement à disposition un de leurs ravitailleurs pour les AWACS de l’OTAN qui sont actuellement aux frontières de l’Ukraine.
Enfin, il y a aussi les évacuations médicales, les MEDEVAC, par le biais notamment de la flotte allemande, avec leurs Global 5000 capables de faire des EVASAN. Les évacuations militaires stratégiques, les rapatriements des OPEX sont des missions en plein essor pour l’EATC, à la fois pour l’aspect volume, mais aussi dans la dimension internationale et l’interopérabilité entre les nations.
En quoi l’EATC reflète-t-il la capacité de « pooling and sharing », présentée par l’Agence européenne de Défense comme une initiative-clé pour l’Europe de la Défense ?
Tout d’abord, il faut préciser que l’EATC n’est pas un organe européen, ni un organe de l’OTAN, même si les membres de l’EATC font partie de l’Union européenne et de l’OTAN. C’est un concept qui est vraiment unique et innovant, une alliance d’actionnaires.
Notre boulot c’est de produire des missions de transport. Le concept tel qu’il a été développé n’existait pas à ce degré d’intégration dans les pays. Le pilier fonctionnel de l’EATC est lui chargé d’améliorer l’interopérabilité entre les pays, c’est-à-dire la capacité que nous avons les uns les autres à travailler ensemble.
Tous les ans, les pays nous disent « on vous met à disposition telle flotte, on vous donne l’autorité d’études d’interopérabilité jusqu’à tel niveau de responsabilité. » A tout moment, un pays peut enlever tel ou tel avion. Demain, si tel avion n’est pas disponible, le pays n’a pas à dire pourquoi, mais il devra quand même nous préciser pour combien de temps. C’est à cela que tient l’originalité du concept, la possibilité de donner, mais de pouvoir récupérer à tout moment.
Quelles sont les difficultés que rencontre l’EATC aujourd’hui ?
Le concept de « pooling and sharing » n’est pas une recette miracle, ça ne marche que si les pays acceptent le jeu et investissent dans le projet.
Entre 2011 et 2013, le volume d’avions « ready to task » a baissé de 30%, alors qu’en même temps, volume d’affaires, fret et PAX, n’a baissé que de 5%. Aujourd’hui, notre marge de manœuvre est très faible et c’est là notre principal problème. Certaines missions deviennent de plus en plus complexes à monter, alors si en plus un grain se sable s’immisce (météo, clearance, mécanique), ça remet en cause toute la mission.
La physionomie des flottes de l’EATC sont très variées, ça va de l’Embraer au KDC-10, en passant par le Transall, c’est une complémentarité qui fait l’efficacité de l’EATC. Mais si nous sommes très efficaces sur le transport de passager, il nous reste beaucoup à faire pour le transport de fret.
Pour le soutien des opérations, comme on a pu le voir pour les opérations Serval ou Sangaris, la France a dû faire appel aux gros Antonov (An-124 et An-225), à des charters et à des C-17 britanniques notamment. Lors de la montée en puissance de Serval, il fallait transporter vite et beaucoup. Environ 75% de la logistique air a été fournie par les Antonov, le contrat Salis etc., 20% par les C-17 fournis par les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne, et enfin 5% seulement par l’EATC. Les moyens sont efficaces, mais assez limités au final. Nous ne sommes pas « nuls », mais nous faisons avec ce que nous avons et si l’investissement ne suit pas, nous ne pourrons pas produire de miracles.
Comment l’EATC gère-t-il les retards de livraison de l’A400M ?
Nous savons que le plan de charge du programme A400M est difficile, mais est-ce que c’est plus difficile que lorsqu’il y a eu le Transall ? Je ne sais pas. Il faut se mettre en perspective avec la durée de vie de l’avion, 40 ans au moins.
Et puis s’il y a des conséquences qu’on peut pressentir, l’avenir reste incertain. Il faut prendre en compte l’impact sur la MSO qui glisse et les perspectives des autres pays. Pour l’Allemagne par exemple, qui en achète 53 et qui n’en exploitera que 40, quid des 13 restants ?
C’est une période compliquée, une période transitoire entre les flottes vieillissantes et les nouvelles qui arrivent et qui se traînent… La remontée va être difficile, mais nous ferons comme nous pourrons pour assurer la continuité des missions au fur et à mesure du retrait des anciens avions.
Nous avons également des responsabilités en ce qui concerne l’harmonisation des formations pour les mécaniciens et les équipages. Cependant, le retard de livraison impacte aussi sur des aspects, le travail sur l’harmonisation des formations a pris du retard, tout est décalé.
Mais nous travaillons en étroite collaboration avec la MEST à Orléans, puisque c’est elle qui est la première à mettre en œuvre l’A400M et ce travail va permettre de peut-être regagner du temps pour la suite.
Qu’en est-il de la problématique des ravitailleurs ? Avec 42 tankers de 10 types différents en Europe, l’harmonisation et l’interopérabilité semblent plus que nécessaires…
En ce qui concerne les MRTT et le ravitaillement en vol, il y a le projet de créer une composante intégrée à l’EATC. Ce sont en effet des moyens coûteux et il n’est pas envisageable de ne pas les mutualiser.
Un groupe de pays (France, Norvège, Pays-Bas, Pologne) serait intéressé pour mutualiser les moyens et faire une commande groupée d’A330 MRTT, afin de créer par la suite une MNU (Multi-National Unit), capable de travailler en coopération. Une des nations pourrait jouer le rôle de « sponsor », afin de coordonner les besoins pour les transmettre à l’EATC. C’est un projet en gestation qui pourrait potentiellement permettre à l’EATC de devenir le deuxième opérateur de MRTT derrière les États-Unis.
Comment voyez-vous l’avenir de l’EATC ?
Avec l’Espagne qui entre dans le « groupe » EATC et l’Italie dans six mois, nous allons avoir des moyens et des expériences supplémentaires. Ces pays sont orientés vers le Sud et l’Afrique, ce qui est intéressant en termes de stratégies de déploiement. L’aspect élargissement, l’augmentation des moyens, sont deux dynamiques que l’EATC doit poursuivre. Plus on met d’avions à disposition et plus les pays vont nous rejoindre et plus le remplacement des flottes sera efficient, plus l’EATC sera efficace. Les deux buts principaux de l’EATC pour l’avenir sont l’élargissement et le renouvellement de la flotte. Toutes les perspectives sont ouvertes, c’est ce qui rend le projet intéressant et porteur.