La « campagne de séduction » des avions de formation bat son plein dans l’armée de l’air. Alors que les PC-21 des forces aériennes helvètes effectuent régulièrement des escales sur les bases aériennes françaises, qu’une évaluation a été menée cet automne sur M-345 en Italie et que le nom T-6 circule également, le projet « Cognac 2016 » verra à l’horizon 2017 l’aboutissement de la réforme de la formation des futurs pilotes de chasse.
FoMEDEC, ou la réforme de l’entraînement et la formation
Le programme FoMEDEC – pour Formation modernisée et entraînement différencié des équipages de chasse – inscrit dans la perspective plus vaste du plan « unis pour faire face » initié par le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Denis Mercier, vise à la fois à optimiser et à raccourcir le cursus des pilotes de chasse de demain, tout en organisant la mise en place d’un entraînement différencié des pilotes. Il s’agit de constituer un premier groupe de pilotes très entraînés – ceux affectés actuellement en escadron – qui entreront en premier sur le théâtre d’opérations, suivis par le second groupe, le « deuxième cercle », – des pilotes dont l’activité principale est l’instruction en vol et qui seront ré-entraînés – qui permettra à l’armée de l’air de s’inscrire dans une opération de longue durée. Le projet « Cognac 2016 » est l’application concrète de la réforme de la formation telle qu’elle a été inscrite dans le Livre blanc 2013.
Un Livre blanc qui précise par ailleurs une cible de chasseurs – air et marine confondus – à 225 avions, ainsi que des contrats opérationnels qui ne permettent pas d’assurer un volume d’entraînement suffisant pour tous les pilotes. « C’est problématique d’avoir d’une part moins d’avions, d’autre part des finances contraintes », explique le lieutenant-colonel Le Bot, du bureau plans de l’état-major de l’armée de l’air et ancien commandant de l’École de transition opérationnelle située à Cazaux. « Si on multiplie le nombre de pilotes nécessaires pour assurer les contrats opérationnels par les heures nécessaires à leur entraînement (180 heures de vol et 70 heures de simulateur par an), ça ne passe pas, ni avec le nombre d’avions, ni avec le volume d’activité. » Une équation insoluble avec le système actuel mais qui devrait être résolue à l’avenir avec le principe d’entraînement différencié.
C’est là qu’intervient le projet « Cognac 2016 », qui va donc permettre d’optimiser, de raccourcir et surtout d’adapter une partie de la formation à l’avion de nouvelle génération qu’est le Rafale, tout en permettant la mise en place de l’entraînement différencié. Le gain de temps pour la qualification opérationnelle des pilotes devrait être de six mois, avec la réunion de deux phases distinctes, celle sur TB-30 Epsilon à Cognac et celle sur Alphajet à Tours. Il s’agit de « rentabiliser la période de formation », d’avoir plus rapidement des pilotes opérationnels en escadron tout en maintenant des standards élevés en matière de formation et de qualification.
Une formation morcelée
Actuellement, la formation d’un pilote de chasse est structurée en cinq phases. La première étape se déroule à Salon de Provence sur SR20/22 et Grob 120. Direction Cognac ensuite pour la phase « 2A » sur Grob 120, à l’issue de laquelle les pilotes sont orientés soit vers la chasse, soit vers le transport. Pour les futurs chasseurs, la phase « 2B » de « pré-spécialisation » continue à Cognac, sur TB-30 Epsilon. A la suite de cette phase, direction Tours et une formation sur Alphajet. « On leur apprend la base du pilotage d’un avion de chasse, à savoir décoller, atterrir, voler aux instruments, de nuit, de la voltige et du vol à plusieurs avions », détaille le LCL Le Bot. A l’issue de cette phase, les pilotes obtiennent leur brevet de pilote de chasse mais… ne savent pas encore combattre. « Du coup ils sont envoyés à Cazaux, sur Alphajet modernisés et là ils apprennent le côté tactique, trouver des objectifs, tirer des bombes, simuler le tir de missiles air-air, effectuer des tirs canon. » Les pilotes de chasse sont ensuite envoyés en escadron de transformation, sur avion d’armes, puis en escadron opérationnel.
Une formation coûteuse et morcelée, tant au niveau géographique qu’en type d’avions. Avec « Cognac 2016 », il s’agit de regrouper les phases 2B et 3 en une « phase basique » qui se déroulera à un seul endroit et avec un seul type d’avion, ce qui fera gagner six mois aux futurs pilotes. Un choix notamment motivé par l’âge avancé des Alphajet de Tours, mis en service en 1979 et qui coûtent de plus en plus cher en MCO. Sans parler de la marge en terme de qualité de formation, comme l’expose le LCL Le Bot : « Economiquement parlant ce n’est pas intéressant de garder les Alphajet de Tours, mais en plus la marge entre ces avions et un Mirage 2000 ou un Rafale est énorme. Les avions de chasse modernes sont équipés de glass cockpit, de viseurs tête haute, de systèmes plus complexes, il faut donc adapter la formation. » Car s’il faut avoir une bonne technicité de pilotage, il faut surtout savoir utiliser un système d’armes, « penser dans les trois dimensions, prendre des décisions rapides, utiliser le radar, le pod de désignation laser, les systèmes de contremesures, le tout en même temps ».
Les futurs avions de formation devront donc posséder un certain nombre de caractéristiques qui feront gagner un temps précieux : « Il existe sur le marché des avions avec glass cockpit, viseur tête haute, qui permettent de simuler l’utilisation du radar, la liaison de données, ce sont des choses que le futur pilote n’aura pas à découvrir ensuite sur avion de chasse ». Un gain en termes de temps, puisque cette nouvelle phase intermédiaire se déroulera intégralement à Cognac sur un seul type d’avion, mais aussi de budget, avec la réduction du coût à l’heure de vol. Avec la fermeture d’une piste dédiée, s’esquisse également une déflation des effectifs, toujours dans une logique de réduction des coûts. Autre gain, grâce à une avionique modernisée, la possibilité de refondre l’entraînement du « deuxième cercle » des pilotes de chasse, qui effectueront une partie de leurs 180 heures de vol annuelles sur le futur avion, tout en faisant de l’instruction pour les pilotes en formation.
Quel avion pour l’armée de l’air ?
Un comité ministériel d’investissement a décidé en juillet dernier d’une acquisition patrimoniale des futurs avions d’entraînement, avec externalisation du soutien. Quant à savoir lequel du PC-21 de Pilatus, du M-345 d’Alenia Aermacchi ou du T-6 de Beechcraft sera commandé, « rien n’est décidé, rien n’est exclu » selon le LCL Le Bot.
Le PC-21 est néanmoins l’avion qui fait le plus parler de lui. Des visites régulières de PC-21 helvètes ont lieu en France, la dernière en date ayant eu lieu cet été avec le passage par Cazaux et Salon-de-Provence de six PC-21 de l’armée de l’air suisse. Par ailleurs, les échanges franco-suisses se poursuivent dans le domaine de l’entraînement. Le premier macaronnage d’un pilote français au sein des forces aériennes suisses a notamment eu lieu en décembre 2013 à Brünnen, dans le canton de Schwytz. Le capitaine Vincent Burgart a ainsi effectué deux années de formation au sein de l’école de pilotage helvète, passant dix mois sur PC-7, puis sur PC-21.
D’aucuns seraient d’ores et déjà convaincus par la machine, comme le CEMAA, qui déclarait en juin 2013 que le PC-21 possédait « de bonnes performances » et que les écrans du cockpit pouvaient être « configurés à l’identique de ceux du Rafale ». Lors de son audition par la Commission Défense de l’Assemblée nationale en octobre dernier, le général Mercier assurait une nouvelle fois qu’ « un avion répond véritablement à nos besoins, mais, comme il s’agit d’un appel d’offres, nous ne pouvons pas envisager qu’une seule piste », répondant à la question du député Christophe Guilloteau sur l’achat de turbopropulseurs « de type Pilatus PC-21 ».
Mais pour l’instant, toutes les propositions sont étudiées, avant un appel d’offres qui devrait être passé au printemps 2015. Suivra une phase de sélection, puis d’acquisition, et enfin de transition avec la co-existence des deux systèmes, avant que la nouvelle flotte n’atteigne sa taille critique et que les instructeurs se soient complètement approprié l’avion. La cible est fixée à une vingtaine d’appareils, pour un total d’environ 11 000 heures de vol par an. Les pilotes et navigateurs de l’armée de l’air, de la marine profiteront de cette nouvelle phase de formation, avec une ouverture possible à des partenaires étrangers.
S’il est aujourd’hui prématuré de parler de date de mise en place – 2016 correspondant initialement à une nouvelle étape dans la déflation de la flotte de chasseurs – le projet doit correspondre à une vision globale et être cohérent avec l’évolution des effectifs. « Cognac 2016 » pourrait se transformer en « Cognac 2017-2018 ».
Une fois la réforme appliquée, les futurs pilotes de chasse bénéficieront d’une formation optimisée et plus adaptée aux exigences budgétaires et opérationnelles requises par le Livre blanc. Quant aux Alphajet de Cazaux, ils ont encore une bonne dizaine d’années de service devant eux, comme l’explique le LCL Le Bot : « Il y a des pays qui ont fait le choix de passer directement d’un avion turbopropulseur à un avion de chasse en gonflant la formation, mais en France nous avons fait le choix de garder une phase intermédiaire entre l’avion de formation basique et le Rafale », avec un avion qui offre de bonnes performances pour les phases de combat et de tir et qui a été rénové en 2011, afin de durer encore quelques années. La modernisation de la formation et de l’entraînement des pilotes de chasse est donc loin d’être finie…