Une fois de plus, le Gripen fait grincer des dents en Suisse. Cette fois-ci, c’est une double-page du Matin Dimanche qui s’en prend au futur avion de l’armée de l’air helvète. L’édition du dimanche 13 mai révèle en effet qu’une large majorité des améliorations voulues par la Suisse ne sont pas encore opérationnelles sur le Gripen Demonstrator.
Lorsque la Suisse s’est décidée pour le Gripen de Saab le 30 novembre 2011 – laissant de côté le Rafale et l’Eurofighter – des améliorations devaient être apportées au Gripen E/F pour les forces aériennes suisses. Selon des sources anonymes proches du dossier citées par Le Matin Dimanche, il y aurait au total 98 améliorations à effectuer. Sur ces 98 upgrades, 7 seulement ont été installées – et testées uniquement partiellement, 27 sont encore à l’état de prototype et n’ont pas été montées dans le Gripen Demonstrator, 55 sont planifiées mais n’existent que sur plans et les 9 dernières sont certes voulues par la Suisse, mais pas par l’armée de l’air suédoise en raison de coûts trop élevés, ce qui rend leur développement futur très incertain.
– Parmi les sept améliorations installées : le nouveau réacteur F414G de General Electric, une réserve plus importante de carburant, trois réservoirs largables de 1700 litres chacun, des améliorations par rapport au modèle C/D et aux radars set systèmes de navigation, ainsi que deux points d’emport supplémentaires.
– En ce qui concerne les 27 améliorations à l’état de prototype, on retrouve l’intégration de missiles air-air AMRAAM de moyenne portée, l’aérodynamique des points d’emport, des améliorations du logiciel de planification des missions et du système de navigation dans le cockpit, des fonctionnalités radar.
– Les 55 améliorations planifiées mais encore sur plans : 12% de carburant en plus dans les ailes, une révision totale du système de démarrage de l’avion, moteur froid, des bombes air-sol, un missile air-air infrarouge de courte portée, un système radar entièrement neuf, un viseur tête haute (helmet mounted display), des améliorations encore plus poussées du système de navigation dans le cockpit, un système de communication interopérable OTAN, un système d’alerte laser.
– Et enfin, pour les neuf améliorations qui sont encore loin d’être développées et intégrées, on retrouve une intégration du module de reconnaissance israélien (les Suédois ne veulent pas donner le leur selon Le Matin Dimanche), de nouvelles améliorations dans le casque, avec notamment une option « audio 3D », des capacités avancées pour le passager arrière pour les 6 Gripen F biplaces que la Suisse veut se procurer et des capacités avancées en matière de guerre électronique.
Le département fédéral de la Défense (DDPS), contacté par la rédaction, n’a pas pris position quant à cette liste.
Lors des essais en Suède entre les 2 et 4 mai derniers, le communiqué du DDPS s’était voulu rassurant et détaillé sur l’ensemble des vols effectués. Or, on apprend dans le journal suisse que les réservoirs largables n’ont pas été testés à Linköping, selon la source, Saab aurait refusé et le porte-parole d’Armasuisse aurait rétorqué qu’ils n’étaient pas nécessaires pour les missions de police aérienne, ce que conteste Le Temps Dimanche. Et malgré ce poids en moins, le Gripen Demonstrator n’a pas dépassé Mach 1.34, alors qu’il peut – en théorie – être poussé jusqu’à Mach 2.0. De plus, les missiles AMRAAM (air-air moyenne portée avancé) et IRST (air-air courte portée) montés sur l’avion seraient encore loin d’être opérationnels.
Et comme si cela ne suffisait pas, Le Temps Dimanche s’est également procuré certains procès-verbaux des auditions de la sous-commission de la politique de sécurité, qui enquête actuellement sur le remplacement de la flotte de F-5. Les témoignages sont accablants. La phrase la plus « choc » peut être attribuée au chef du projet de remplacement des Tiger (TTE) chez Armasuisse Jürg Weber : « Plutôt que de modifier de vieux Gripen C/D, il est beaucoup plus rationnel de construire de tout nouveaux appareils ». Des responsables ont également affirmé devant la sous-commission que les rapports confidentiels qui ont fuité dans la presse à la mi-février (voir cet article) sont les seuls valables, malgré l’affirmation du ministre fédéral de la Défense Ueli Maurer qu’ils étaient datés. En clair, le Rafale et l’Eurofighter possèdent des performances supérieures au Gripen. L’état-major de planification de l’armée, la direction du projet TTE chez Armassuisse privilégient le Rafale, puis l’Eurofighter.
Toujours selon le journal, parmi les huit membres de la sous-commission, un seul serait encore convaincu par le Gripen. Le rapport qu’ils doivent rendre à la fin du mois de juin pourrait être accompagné d’une proposition, celle de faire une nouvelle offre à prix fixe aux trois avionneurs concernés (Saab, Dassault Aviation, Eurofighter), quitte à en commander moins que 22. Ce qui serait possible, des calculs de l’armée ayant mis en évidence que les performances de 22 Gripen pourraient être atteintes avec 15 Rafale ou Eurofighter. Voilà encore de quoi agiter le pays helvète encore quelques temps…