La presse française surveille particulièrement tous faits et gestes des grandes compagnies du Golfe que sont Emirates, Qatar Airways et Etihad, avec en perspective la naissance de la nouvelle Riyadh Air qui vient de s’engager sur 39 Dreamliner, un tout premier pas pour cette filiale du fonds souverain saoudien qui promet de devenir un nouveau géant des voyages en correspondance au Moyen-Orient. Mais pour les principales compagnies européennes intercontinentales, le danger qui guette est encore bien plus proche…
Il y a trois ans, au démarrage d’une pandémie qui allait durablement secouer le monde de l’aviation, nous nous étions tout particulièrement intéressés à la compagnie Turkish Airlines (lire l’éditorial : Le « cas TK »), qui, par son vaste réseau mondial et par l’équilibre de sa flotte, devait être un indice à suivre pour connaître la tendance générale qui se mettra en place entre les acteurs du transport aérien et les OEM lors de la reprise.
Le constat est plus que révélateur. Turkish Airlines vient de dégager un bénéfice net de 2,7 milliards de dollars pour l’année 2022 (791 millions pour le groupe Lufthansa, 728 millions pour le groupe Air France-KLM, mieux que toutes les grandes compagnies aériennes nord-américaines), avec un chiffre d’affaires largement supérieur à celui de 2019. La compagnie porte-drapeau turque dispose de 4,7 milliards de dollars de liquidités, aligne une flotte record de 400 appareils en « mailine » depuis quelques jours (350 avions en mars 2020, sans comptabiliser les appareils de sa filiale à bas tarifs AnadoluJet), dessert 342 destinations dans 129 pays.
Et les perspectives sont encore meilleures pour 2023, avec de nouvelles ouvertures de lignes, une augmentation de ses capacités offertes de 10 à 20% (33 appareils attendus cette année) et une progression de ses taux de remplissage (82,9 % l’année dernière contre 87,5 % avant la pandémie), notamment avec le retour de la Chine.
La compagnie porte-drapeau turque profite désormais pleinement du nouvel aéroport international d’Istanbul (IGA) et de son rôle de plaque tournante internationale, avec il est vrai un petit coup de pouce lié aux sanctions occidentales contre la Russie. Elle profite aussi, encore pour un temps, des plus faibles capacités offertes par ses grandes concurrentes basées en Europe, au Moyen-Orient ou en Asie.
Mais Turkish Airlines n’a clairement pas encore atteint les limites d’une stratégie mise en place au milieu des années 2000, avec un hub complètement aligné sur ses décisions, et qui promet d’atteindre un jour une capacité annuelle de 200 millions de passagers par an, plus du double de celle d’aujourd’hui.
D’importantes annonces sont logiquement à attendre avec les livraisons de ses derniers gros-porteurs commandés (A350 et 787-9), que ce soit pour sa flotte actuelle ou pour ses futurs besoins de croissance. Il faudra sans doute aussi encore attendre les prochaines élections présidentielles turques prévues le 14 mai prochain, mais nul doute que les directions des principales compagnies aériennes européennes seront plus que jamais en alerte.
Car si les compagnies aériennes ne veulent/peuvent plus croitre en Europe pour des raisons encore bien nébuleuses, mais très souvent pour des raisons politiques sous couvert d’écologie, les passagers sauront par où passer…

