Le décret publié par le Kremlin le 14 mars est lourd de sens. Avec son « Amendements au Code aérien de la Fédération de Russie et à certains actes législatifs de la Fédération de Russie », le gouvernement de Vladimir Poutine est désormais responsable des contrats de crédit-bail vis-à-vis des sociétés de leasing occidentales et de tous les droits sur leurs appareils encore présents sur le sol russe, soit pas moins de 565 avions commerciaux. Il s’agit tout simplement d’une véritable confiscation des appareils, certains de toute dernière génération, une flotte qui représente plus de 12 milliards de dollars d’actifs aéronautiques.
Les loueurs les plus impactés sont AerCap et SMBC Aviation Capital en nombre d’appareils, avec respectivement 145 et 36 avions restés dans les flottes des compagnies aériennes russes, mais Fortress Transportation and Infrastructure (FTAI) reste aujourd’hui le plus exposé compte tenu de la part importante de son portefeuille opérée en Russie (près d’un quart de ses 70 avions).
Dans ces conditions, les loueurs ont évidemment mis la pression ces derniers jours sur les Bermudes qui viennent de suspendre les certificats de navigabilité des aéronefs volant en Russie (par exemple chez Aeroflot ou S7, des appareils immatriculés en VP ou VQ). L’EASA vient quant à elle de suspendre les agréments de toutes les sociétés de maintenance pouvant intervenir sur ces appareils, l’objectif étant bien sûr d’accélérer les repossessions des appareils par leurs loueurs plus que de vouloir clouer au sol l’ensemble du transport aérien russe, même si le Superjet de Sukhoi vient aussi de perdre son certificat de type en Europe. Les appareils des loueurs russes battant pavillon irlandais (par exemple chez Rossiya) vont quant à eux sûrement intégrer rapidement le registre russe.
Mais la saisie unilatérale des actifs aéronautiques appartenant à des loueurs occidentaux n’est pas le seul sujet d’inquiétude, en particulier dans un temps plus long. La problématique de la maintenance de ces avions, du suivi documentaire, est tout aussi importante, notamment à très court terme (pièces détachées, consommables, pièces à durée limitée…). Pour l’instant, la Chine a voulu faire savoir qu’elle refusait de donner son aide aux opérateurs russes, de peur d’apparaître comme un pays soutenant économiquement la Russie dans le cadre des sanctions économiques en vigueur, notamment au regard des suspicions des États-Unis.
Car la valeur résiduelle d’un avion commercial avec une documentation de maintenance non conforme ne représente finalement pas plus que la valeur de la masse du métal qui le constitue, c’est-à-dire pas grand-chose. On peut cependant penser que les compagnies aériennes russes sérieuses vont tout faire pour maintenir de bonnes relations avec les loueurs, comme durant la pandémie, quitte à stocker et préserver leurs appareils à défaut de pouvoir les rendre rapidement. Dans le cas contraire, il est clair que certains loueurs, tout comme leurs banquiers et leurs assureurs, vont vivre des moments difficiles. Et la confiance du milieu des affaires envers la Russie sera alors très durablement perdue.


