Minées par la concurrence des compagnies low-cost, du Golfe et une surcapacité sur certains secteurs, les compagnies aériennes françaises peinent à survivre. Réunis à Bordeaux à l’occasion du forum French Connect le 1er juillet, Hélène Abraham, directrice du marketing chez HOP!, Pascal de Izaguirre, président de Corsair, et Jean-François Dominiak, président d’Europe Airpost, ont discuté de l’avenir du pavillon français.
Vers la disparition des compagnies charter
Evoquant le changement de modèle économique de Corsair, Pascal de Izaguirre a été direct : « je pense que le charter est condamné à mourir en France. » Il a expliqué que la France n’avait pas un marché charter aussi important que les pays d’Europe du Nord notamment et que le marché des tour-opérateurs était trop fragmenté pour que l’un d’eux puisse soutenir une compagnie. TUI ne représente par exemple que 10% du chiffre d’affaires fait par Corsair alors qu’il tend à atteindre 100% dans les autres compagnies du groupe.
Laurent Magnin, le président d’XL Airways, a également indiqué durant le week-end que les tour-opérateurs représentaient 95% de la clientèle de la compagnie il y a cinq ans mais qu’ils ne pesaient plus que 65% désormais et que leur poids devrait tomber à 50% l’année prochaine.
A partir de ce constat, deux solutions étaient disponibles pour Corsair : se transformer en compagnie de niche ou en compagnie régulière de loisirs. C’est la seconde solution qui a été retenue, une décision « confortée » par le choix similaire d’XL Airways.
Europe Airpost se positionne au contraire sur les marchés de niche, avec son modèle économique hybride, mi-cargo mi-passage, et focalisé sur les régions. Et le résultat est là : Jean-François Dominiak indique qu’« Europe Airpost a les ratios de rentabilité les plus forts du marché. » Il estime que trois conditions sont importantes pour la survie des compagnies françaises : ne jamais cesser d’innover (au niveau de la flotte comme des technologies de l’information), aller chercher les marchés où ils sont et s’assurer le soutien d’un actionnaire fort.
Une situation contrastée dans les régions
Les régions françaises ont vu le profil des vols assurés à leur départ se modifier ces dernières années. Air Austral et Corsair les ont désertées, choisissant le TGVair comme palliatif à leur départ et faisant perdre aux capitales régionales leurs liaisons directes long-courrier. Si XL Airways semble au contraire y avoir trouvé un marché, Pascal de Izaguirre ne compte pas revenir sur sa décision : « nous avons fait ce choix et nous l’assumons. Nous ne voulons pas rouvrir de ligne en province […] parce que ce n’est pas économiquement rentable. » Il explique que le rendement des lignes province – Antilles n’est pas suffisant hormis pour un vol hebdomadaire, ce qui n’est « pas pertinent ». Une fréquence accrue, bien plus intéressante, est impossible avec les appareils que la compagnie exploite actuellement – A330-200, A330-300 et 747-400. Avec des modules plus petits (du genre du 787), il estime que la décision serait « à reconsidérer. Mais avec la flotte actuelle, c’est hors de question. »
Pour le moyen-courrier, la situation est différente. Malgré une forte présence des low-cost en région, la création de HOP! et la campagne médiatique qui a eu lieu autour de son lancement a permis de ramener des passagers vers le pavillon français. Hélène Abraham a rappelé que la compagnie régionale était bien partie lorsqu’on regardait les réservations et que sa naissance avait provoqué une augmentation du trafic entre avril et juin 2013 alors que celui-ci s’effritait durant la même période de 2012.
Ceci rejoint un élément-clef de l’exposé de l’analyste de anna.aero, Ralph Anker, qui affirme que, contrairement à ce qui est communément admis, « la stimulation est possible sur le marché interrégional français. » Le trafic entre les régions s’est en effet considérablement développé depuis 2008 et le renforcement d’easyJet en France.
« La consolidation est inévitable »
Pour Pascal de Izaguirre, la concurrence sur le moyen-courrier et le long-courrier est telle que « la consolidation est inévitable. Tous les petits acteurs du transport aérien français n’ont aucun avenir. »
Concernant le long-courrier, le président de Corsair a cité l’exemple de la desserte des Antilles, assurée par quatre transporteurs (Corsair, Air Caraïbes, XL Airways et Air France). Sur ce secteur, des rapprochements sont essentiels pour créer des économies d’échelle. Corsair a déjà fait un premier pas dans ce sens en concluant un accord de partage de code avec Air Caraïbes. Cependant, un vrai mouvement de concentration ne pourra être lancé que lorsque les investisseurs auront de l’argent. « Aujourd’hui ça me paraît extrêmement difficile. »
Jean-François Dominiak a quant à lui évoqué la concurrence des compagnies d’Europe de l’Est, la qualifiant de « dramatique ». Expliquant que leurs coûts étaient moins élevés, il a regretté qu’en France, « on ne cherche pas à alléger la pression fiscale, au contraire. »
Le manque de dynamisme du marché français
Pascal de Izaguirre estime également que le marché français souffre de son manque de dynamisme économique, ce qui ne motive pas les déplacements. Citant une enquête du groupe TUI, il explique que la France est le pays européen où le pourcentage de pessimistes est le plus élevé et celui d’optimistes le moins élevé. D’où l’importance, selon lui, de réussir à équilibrer les pays de vente des billets. Par exemple, la moitié des places vendues sur la liaison Paris – Montréal le sont à des Canadiens, tout comme la moitié de celles vers Abidjan est vendue à des Ivoiriens.
De son côté, Didier Bréchemier, consultant chez Roland Berger, ajoute que le marché français manque d’adaptabilité. Quand Volotea peut ouvrir des lignes pour les tester puis le fermer au bout de quelques mois et quand les compagnies asiatiques sont capables de créer des filiales low-cost en moins d’un an, la France est ralentie par les négociations sociales. Il estime qu’au moins 70% du temps demandé par la création d’un nouveau modèle économique est consacré aux discussions avec les syndicats. Il est dès lors très long de modifier quelque chose et difficile de s’adapter aux transformations du marché.
Jugeant au contraire que les syndicats n’étaient plus dans l’opposition rigide, Hélène Abraham a quant à elle souhaité apporter une touche d’optimisme à ce tableau un peu sombre de la situation : « Je crois fondamentalement en l’avenir du marché français. » Faisant référence aux prévisions de vente des avionneurs pour les vingt prochaines années, elle a affirmé que « les perspectives de croissances [étaient] significatives en Europe. »
