Le monde du transport aérien connaît assurément un choc sans précédent dans son histoire et les tentations d’en prédire des conséquences durables quant aux comportements des passagers resteront encore longtemps un exercice périlleux, tout au moins tant que des restrictions sur les voyages ne seront pas définitivement abolies un peu partout sur la planète. En attendant, certains y voient un véritable bouleversement des voyages d’affaires sur le long terme, à l’instar de la Chaire Pégase (Montpellier Business School) qui estime que 38% des déplacements professionnels en avion seront durablement remplacés par des visioconférences, un phénomène calqué sur l’accélération du télétravail constatée en France avec la succession des confinements.
Ce que l’on sait, c’est que le voyage d’affaires est généralement celui qui est le plus longtemps impacté lors de l’émergence d’une crise économique, comparativement aux voyages affinitaires ou au tourisme de façon plus large. De plus, après chaque crise, de nombreux passagers voyageant pour raison professionnelle se sont vus déclassés d’une cabine par leur entreprise, impactant alors sensiblement les recettes des compagnies aériennes sur le long-courrier, les passagers voyageant en classe à haute contribution (première classe et classe affaires) participant grandement à la pérennité commerciale de ce type de vols, sans parler de la diminution des achats pour des billets apportant le plus de flexibilité, et donc les plus chers. Pour une compagnie aérienne comme Air France, on estime généralement que les passagers à haute contribution représentent 10% du nombre total de passagers pour un tiers du chiffre d’affaires sur le long-courrier.
La survie des compagnies aériennes traditionnelles, en particulier sur le long-courrier, dépend donc très largement des recettes des voyageurs d’affaires qui vont mettre un certain temps à remplir les classes avant de leurs avions. La banque HSBC prône d’ailleurs pour une suppression pure et simple des premières classes des compagnies européennes (il n’en reste plus beaucoup) et pour un développement plus conséquent des classes économiques premium afin de mieux rentabiliser leurs vols, une idée qui peut sembler logique, mais qui va aussi dans le sens opposé du marketing traditionnel d’un produit qui vise plutôt à capter des passagers volant en classe économique. L’arrivée prochaine de la Premium Economy sur les 777-300ER de SWISS en est d’ailleurs le parfait exemple, la compagnie préférant réduire le nombre de ses sièges en classe arrière plutôt que de modifier la configuration à haute-contribution de ses gros-porteurs. Même son de cloche de la part d’Akbar Al Baker, le PDG de Qatar Airways qui ne veut toujours pas entendre parler d’une quelconque classe économique premium à bord de ses appareils, même si la compagnie souffre aussi d’une importante diminution de ses recettes provenant de ses voyageurs d’affaires.
Air France reste aussi particulièrement attachée à ses classes haute contribution, se positionnant pour une reprise conséquente du trafic sur l’Atlantique Nord, l’Asie de l’Est et Singapour. Quant à son éternelle concurrente allemande Lufthansa, celle-ci vient tout simplement d’annoncer la réactivation de cinq A340-600 quadriclasses à partir de l’été 2022 pour réintroduire sa première classe sur certaines de ses lignes.
On l’aura compris, les compagnies aériennes n’entendent pas pour l’instant se lancer dans d’importantes reconfigurations d’appareils pour réduire les capacités de leurs classes à haute contribution lors de la reprise. Et c’est sans doute là que se trouve la plus claire des prédictions à long terme sur l’évolution post-pandémie du comportement des passagers.


