Si la reprise du transport aérien chinois a été particulièrement scrutée au cours des dernières semaines, ce marché pourrait s’avérer bien plus complexe à appréhender durant cette décennie que durant la décennie précédente, allant tout simplement jusqu’à remettre en question le principal moteur de croissance des avionneurs et des industriels occidentaux.
Une part importante des carnets de commandes d’Airbus et Boeing est, on le sait, destinée aux opérateurs chinois. La pandémie de coronavirus a évidemment cassé la dynamique de croissance, jusqu’ici ininterrompue, du géant asiatique et il faudra au minimum deux ans pour pouvoir résorber la capacité excédentaire de la flotte chinoise, pour les appareils long-courriers bien sûr, mais pas seulement. De plus, la moyenne d’âge des flottes des compagnies aériennes chinoises est relativement jeune, laissant finalement pratiquement aucune place au remplacement d’appareils à court terme.
Mais à cela est aussi venu s’ajouter l’intensification des tensions politiques entre la Chine et l’Occident, en particulier avec les États-Unis, et la formule de « nouvelle guerre froide » utilisée par Pékin il y a dix jours commence à faire trembler l’Asie-Pacifique, alors que de nombreux pays d’Asie du Sud-est s’interrogent sur le fait de devoir ou non prendre parti afin de préserver la stabilité politique et économique de toute la région.
Le « rêve chinois » porté par Xi Jinping repose toujours sur les jambes du capitalisme et du nationalisme, et son succès reste encore fortement dépendant de la place de l’Empire du Milieu dans le podium du commerce mondial. Bien sûr la Chine ne manquera pas d’affirmer encore davantage son ambition de rivaliser avec le duopole Airbus-Boeing, d’abord avec le moyen-courrier C919 de la COMAC (Commercial Aircraft Corporation of China) qui devrait finalement entrer en service d’ici 2-3 ans, même s’il faudra encore beaucoup de temps pour livrer les quelque 300 appareils en commandes fermes, et encore bien davantage encore pour pouvoir répondre un jour aux seuls besoins du marché chinois.
Le retour des besoins en avions commerciaux pour la Chine représente finalement l’un des tout premiers défis du secteur pour le « monde d’après », avec des incertitudes qui s’annoncent peut-être encore plus profondes et bien plus durables que celles qui auront été directement imputables à la pandémie. La trajectoire que prendra l’Empire du Milieu pourrait s’avérer nouvelle et l’industrie aéronautique occidentale devra alors s’adapter, quitte à prendre les devants quand il s’agira d’investir à nouveau sur place.
Car, pour reprendre l’une des plus courtes citations attribuées au sage chinois Lao Tseu, « Mieux vaut allumer une chandelle que maudire les ténèbres ».
