Pour le moment, le pari d’Embraer sur l’E175-E2 est loin d’être gagnant. Alors qu’un appareil vole déjà depuis décembre 2019, l’avionneur vient d’annoncer un troisième report du programme, son conseil d’administration ayant approuvé une pause de trois ans dans le développement. S’il parvient à remporter des commandes, il entrera en service au mieux entre 2027 et 2028.
Comme les précédents reports décidés en 2016 puis en 2020, Embraer évoque les discussions autour de la « scope clause » aux Etats-Unis, qui, n’évoluant pas, entretiennent l’attrait de l’E175-E1, mais aussi la crise sanitaire, qui pourrait avoir tendance à ralentir les investissements des compagnies dans leur flotte.
Le carnet de commandes reste désespérément vide. Embraer n’a enregistré que des engagements préliminaires au lancement du programme en 2013, concernant uniquement le marché américain – notamment de la part de SkyWest pour une centaine d’appareils. Ces engagements ne pourront se transformer en commandes fermes que si la scope clause évolue : elle limite toujours à 86 000 livres la masse maximale au décollage des appareils régionaux pouvant être exploités sur le marché régional américain et à 76 places leur capacité. Or, celle de l’E175-E2 est de 98 000 livres.
Embraer ne s’est bien sûr pas contenté de chercher des clients aux Etats-Unis et promettait au tout début de 2020 qu’il avait des discussions avec des prospects en Europe de l’Ouest et en Asie, dont il était confiant qu’elles pouvaient aboutir. Mais c’était avant la crise sanitaire. Et ces marchés ne récupèrent pas aussi vite que les Etats-Unis.
De toute façon, une chose est certaine : hors marché américain, point de salut ! Il suffit pour s’en convaincre de regarder le carnet de commandes historique d’Embraer pour l’E175-E1, qui est représenté à 85% par les compagnies américaines (sans compter les appareils acquis par des sociétés de leasing). Le reste du monde, qui ne s’est pas imposé ce genre de limites, est généralement intéressé par des appareils plus grands (l’E195-E2 principalement).
C’est là la difficulté de l’E175-E2. Il ne se vendra pas si les pilotes des majors américaines ne consentent pas à au moins relever la masse maximale au décollage des appareils pouvant être exploités par leurs partenaires sur les opérations régionales. S’il trouve un marché hors-Etats-Unis, celui-ci pourrait ne pas suffire à justifier les développements importants consentis par Embraer pour proposer un avion avec une réelle amélioration des performances, qui ont consisté à développer une nouvelle voilure, un nouveau système de trains d’atterrissage, un nouvel empennage et une nouvelle version du GTF de Pratt & Whitney (le PW1700G).
Pendant ce temps, sans concurrent en face de lui depuis la fin du CRJ et la suspension du MRJ, l’E175-E1 continue à tracer sa route, remplissant la fonction de renouvellement et de croissance de la flotte que l’E2 devait prendre en charge. Pour quelques années encore, l’avion de l’avenir pour Embraer aux Etats-Unis restera un avion du passé…
