Le 3ème rapport d’étape du BEA concernant l’accident de l’A330 d’Air France a été officiellement dévoilé le 29 juillet, apportant de nouveaux éléments provenant directement de l’analyse complète des deux enregistreurs, notamment quant aux actions de l’équipage après la perte de données anémométriques et la déconnexion du PA. Nous ne reviendrons pas sur l’ensemble des commentaires publiés depuis quelques jours par l’ensemble de la presse mais souhaitons rappeler les éléments suivants :
Un accident aérien est souvent le résultat de multiples facteurs qui, indépendamment les uns des autres ne conduisent généralement pas à la perte d’un appareil et de ses passagers (plaques de Reason).
Le premier élément déclencheur est bien entendu la perte des vitesses, sans doute consécutive à l’obstruction des trois tubes de Pitot de l’appareil par de la glace liée à l’environnement météorologique. L’incohérence des vitesses mesurées sur les trois sondes a ensuite déconnecté le pilote automatique ainsi que l’autopousée. C’est une réaction normale des systèmes de l’appareil. L’Airbus A330 dispose alors d’une protection réduite (mode Alternate) et les informations de vitesse ou liées à celles-ci sur les PFD sont désormais absentes ou non crédibles.
Le second élément déclencheur relevé par le BEA est la réaction de l’équipage face à la perte d’information de vitesse. L’appareil est amené à une situation aérodynamique qui provoque le décrochage bas, à haute altitude, de nuit et ce dans une atmosphère nuageuse et légèrement turbulente. Les deux copilotes, alors seuls dans le poste, n’ont pas annoncé, ni suivi, la procédure d’Air France concernant la perte d’affichage de la vitesse sur l’ensemble des instruments.
Le troisième élément est sans aucun doute lié à une erreur de jugement de l’équipage qui ne reconnaît pas le décrochage et semble se croire dans une situation de survitesse (les spoilers ont même failli être déployés…). L’équipage aux commandes, accompagné du Commandant de Bord qui a regagné le poste, s’est enfermé dans un véritable tunnel de pensée qui l’a empêché de reconnaître la caractéristique d’un avion en décrochage, à savoir un altimètre affichant une chute importante alors que l’assiette est maintenue à un niveau destiné à réduire la vitesse et à reprendre de l’altitude. L’alarme de décrochage, (« Stall » en anglais) était active durant 54 secondes sans discontinuité. Le mot « décrochage » n’a pas été prononcé une seule fois dans le poste. Ce tunnel de pensée est confirmé jusqu’à la dernière minute de vol ou l’équipage ne fait que confirmer ses actions, augmentant encore l’angle à cabrer de façon plus en plus désespérée.
D’autres facteurs contributifs viennent sans doute perturber les actions de l’équipage. Les turbulences amènent les pilotes aux commandes à agir continuellement sur les commandes pour garder les ailes horizontales. Le bruit dans le poste, lié à la modification de l’écoulement de l’air, est sans doute proche de celui rencontré à haute vitesse. L’alarme de décrochage s’arrête quant à elle à chaque fois que la vitesse mesurée est inférieure à 60 nœuds ou que les sondes d’incidences indiquent des valeurs extrêmes.
Au regard de tous ces faits, l’équipage est-il responsable de l’accident du vol AF447 ?
La réponse est simple et courte : assurément. La perte d’indication de vitesse ne peut pas être la cause première d’une catastrophe aérienne, même de nuit. Elle n’est que le facteur déclencheur, la première plaque trouée de la théorie de Reason. Le fait que l’appareil ait perdu sa protection principale et qu’aucune information fiable concernant sa vitesse ne puisse être affichée en croisière ne peuvent conduire à un accident. L’A330 n’était devenu qu’un appareil plus conventionnel, capable de décrocher mais dépourvu d’information de vitesse, une situation maintes fois rencontrée dans l’histoire de l’aviation commerciale. Un suivi rigoureux des procédures aurait empêché l’arrivée de l’appareil jusqu’à cette situation aérodynamique catastrophique.
L’équipage aurait-il pu sortir l’Airbus de la situation de décrochage ?
La réponse à cette question est beaucoup plus complexe. L’expérience et la formation de tous les membres de l’équipage présents à bord auraient bien sûr conduit les pilotes à vouloir maintenir l’appareil avec un angle à piquer. Mais les pilotes de ligne ne sont pas des pilotes d’essais et la sortie de décrochage d’un gros-porteur n’est en rien aussi simple que celle d’un avion léger volant à des altitudes plus basses. En terme de formation, aucun simulateur n’est également capable de reproduire fidèlement la sortie du décrochage et encore moins dans une atmosphère turbulente. De nombreux pilotes, à Air France comme ailleurs, précisent que la sortie brutale du premier décrochage aurait pu conduire à un autre décrochage, mais évidemment à une altitude beaucoup plus réduite.
Quelles mesures à appliquer pour la sécurité des vols ?
Aucun appareil dont les moteurs et les commandes sont en état de fonctionner ne doit s’approcher d’une situation de décrochage, aussi bien en croisière qu’à basse altitude. La protection du domaine de vol, que ce soit via des systèmes automatisés ou des procédures claires en l’absence de ceux-ci, doit être l’ultime des priorités. Un pilote de ligne n’a pas vocation à sortir d’un décrochage ou d’une vrille. Il doit tout faire pour rester dans le domaine de vol. Les nouvelles recommandations de sécurité du BEA visant à intégrer l’affichage de l’incidence d’une part, et à mieux former les pilotes au vol manuel en croisière et en mode Alternate d’autre part, seront deux mesures efficaces tant qu’elles serviront à empêcher l’existence de la cause principale de l’accident et non à sortir l’avion d’une situation dans laquelle il n’aurait jamais dû se retrouver.
L’Airmanship à toujours été une affaire de pilotage, de jugement et de discipline. Le pilotage seul n’a pas sa place dans le transport aérien moderne.