Décembre s’ouvre et Elles bougent continue de se mobiliser sans relâche en faveur de la féminisation des métiers scientifiques et techniques. Tout en missionnant ses marraines auprès des collégiennes et lycéennes cette semaine dans le cadre de l’opération Elles bougent pour l’orientation, l’association se prépare à la soirée du 3 décembre, durant laquelle seront remis les Prix Femmes de l’Aéro et du Spatial à leurs lauréates. Ce prix, porté par le GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) et le Journal de l’Aviation, Elles bougent a très tôt voulu s’y associer. Valérie Brusseau, sa présidente, le considère en effet comme un moyen éclatant de mettre en lumière les femmes qui ont vaincu les stéréotypes de genre et font avancer le secteur aéronautique et spatial, ce qui rejoint la mission qu’assume Elles bougent depuis désormais vingt ans.
L’association Elles bougent fête ses 20 ans. Quel était le point de départ à sa création ?
Elles bougent est née d’un constat très clair : il n’y avait pas assez de femmes diplômées ingénieures ou techniciennes, donc pas assez de femmes dans les secteurs industriels. Des industriels de plusieurs secteurs, notamment aéronautique et automobile, sont donc allés rencontrer notre fondatrice, Marie-Sophie Pavlak, pour construire une réponse collective. Vingt ans après, nous sommes une association de référence, mais toujours à la pointe du progrès et en innovation permanente au service de la déconstruction des stéréotypes et de la féminisation des carrières scientifiques et techniques.
Vingt ans plus tard, qu’est-ce qui a réellement changé ?
Les choses ont évolué. Dans les années 1990, il y avait 12 % de femmes dans les écoles d’ingénieurs à destination de l’industrie. Aujourd’hui, elles sont 24 %. Le taux a donc doublé en une quinzaine d’années, ce qui est un progrès tangible. Cependant, nous restons à 28 % de femmes dans l’industrie, et, si nous enlevons les fonctions support, il ne reste que 12 % de femmes dans les métiers techniques. Donc cela n’avance pas assez vite. C’est pour cela qu’Elles bougent est force de proposition et travaille étroitement avec les industriels, l’enseignement et les pouvoirs publics.
L’association a elle aussi beaucoup grandi. Quelle est son ampleur aujourd’hui ?
Nous avons plus de 350 entreprises partenaires, qui mettent à disposition des marraines, des femmes techniciennes ou ingénieures, qui incarnent des rôles modèles. Elles sont plus de 15 000 et vont parler de leur métier aux jeunes filles, puisqu’on ne va jamais s’orienter dans ce que l’on ne connaît pas. Nous nous appuyons aussi sur le système éducatif et sommes partenaires de plus de 5 000 établissements d’enseignement supérieur et écoles d’ingénieurs. Tout cet écosystème organise plus de 1 200 événements par an et nous avons atteint plus de 50 000 filles cette année. C’est une croissance de 30 % sur l’exercice 2025, après une croissance de 25 % en 2024. L’association est en train de passer à l’échelle.
Et depuis deux ans que je suis présidente, je n’ai eu de cesse de décloisonner : nous organisons des opérations avec d’autres associations de référence comme Femmes Ingénieures, avec la Cité des sciences, l’Académie des technologies… Je crois profondément en l’énergie collective. C’est en associant les réseaux que l’on démultiplie nos forces et l’impact de nos actions.
Concrètement, quelles actions menez-vous pour attirer les filles vers ces carrières ?
Nos actions sont multiples. Il y a d’abord les grands salons professionnels : le Bourget en juin dernier, où nous avons emmené 2 000 jeunes filles, Global Industrie en mars prochain, mais aussi le salon du nucléaire ou de l’automobile. Nous emmenons des groupes de filles, du primaire jusqu’au supérieur, pour leur montrer des métiers qu’elles ne connaissent pas. Nous avons aussi des forums de recrutement 100 % féminins, comme le Forum Réseaux et Carrières au Féminin, qui nous permet de mettre en relation nos entreprises partenaires, les étudiantes et les établissements d’enseignement supérieur, et de proposer des stages et des premiers emplois à des femmes dans l’industrie. L’an dernier, plus d’un millier d’entretiens ont eu lieu en une seule journée lors de ce forum digital.
Nous menons aussi de grandes opérations nationales : Elles bougent pour l’orientation, début décembre, mobilisera plus de 600 établissements et touchera plus de 40 000 filles. Nos marraines se rendront dans les établissements scolaires pour présenter les voies d’orientation. Et en tant que cadre dirigeante pour l’industrie, je suis convaincue qu’il faut parler de l’industrie de demain aux jeunes filles, aborder les grands enjeux sociétaux et montrer que les femmes doivent être présentes sur ces sujets d’avenir : décarbonation, transition énergétique, intelligence artificielle, souveraineté industrielle, nucléaire. Ce sera l’objet de l’opération Elles bougent pour demain en avril.
Nous intervenons aussi dans les classes de primaire pour casser les stéréotypes dès le plus jeune âge. Nous avons développé un jeu pour montrer qu’il n’y a pas de métiers de filles ou de garçons. Et puis il y a le Challenge Innovatech, un concours 100 % féminin où les jeunes conçoivent un projet en une journée avec des marraines, pitchent puis participent à une finale nationale à la Cité des sciences.
Nous avons enfin une forte présence digitale avec Les marraines vous répondent, une série de webinaires de développement personnel et d’échanges entre étudiantes et professionnelles, qui permet aussi d’organiser un suivi. Bref, tout un écosystème pour que les filles puissent se projeter dans ces métiers.
Quels sont vos axes de développement, notamment pour influencer les politiques publiques ?
Nous voulons renforcer le cœur de métier de l’association et susciter des vocations scientifiques et techniques auprès des filles, en multipliant nos actions. Nous nous développons également à l’international et sommes, par exemple, en train d’ouvrir une représentation au Maroc. Et, effectivement, nous travaillons à faire d’Elles bougent une association de référence qui verse au débat public.
Nous sommes auditionnés très régulièrement par l’Éducation nationale, le Sénat ou d’autres ministères. Le plan Filles et maths, mis en œuvre en septembre, intègre trois de nos recommandations : former les enseignants à la déconstruction des stéréotypes, fixer un objectif de 30 % de filles dans les filières scientifiques d’ici 2030 et déployer des rôles modèles.
Mais pour nous, cela ne suffit pas. Il faut aller beaucoup plus loin. Nous souhaitons une journée nationale de sensibilisation à la déconstruction des stéréotypes, parce qu’ils naissent dès le plus jeune âge auprès des prescripteurs d’orientation que sont les familles. Nous travaillons aussi à la mise en place d’une formation obligatoire aux stéréotypes de genre dans toutes les entreprises, à tous les niveaux hiérarchiques.
Les stéréotypes restent-ils aussi présents qu’avant ?
Oui, très présents. Une enquête OpinionWay menée avec L’Étudiant montre que 81 % des femmes ont été confrontées à des stéréotypes de genre au cours de leurs études ou de leur carrière. Nous sommes dans des sociétés patriarcales. Et 64 % des jeunes filles disent ne pas vouloir aller vers l’industrie. Le syndrome de l’imposteur joue énormément : les filles doutent davantage, même lorsqu’elles ont toutes les compétences. Ce syndrome est renforcé par deux éléments : l’idée encore ancrée que les maths seraient pour les garçons, qui apparaît dès le primaire, et le manque de rôles modèles. D’où l’importance de nos marraines.
Et dans l’aéronautique, comment la situation a-t-elle évolué ?
Les secteurs de l’aéronautique et de la défense sont des bastions très masculins, qui ont pris du retard sur le sujet de la féminisation par rapport à d’autres secteurs. Mais j’observe un très gros élan pour combler ce retard. Le secteur recrute énormément, il a des besoins colossaux, des enjeux technologiques majeurs, et il attire de plus en plus les femmes. Les entreprises sont très engagées et le GIFAS fait un vrai travail de fond. Je suis très optimiste pour l’aéronautique, je suis persuadée que cette lame de fond va porter ses fruits. C’est important pour Elles bougent d’accompagner cette éclosion d’un secteur qui est un pilier de l’industrie de demain et c’est pourquoi nous avons immédiatement accepté de nous associer au Prix Femmes de l’Aéro et du Spatial avec le GIFAS et le Journal de l’Aviation.
Qu’est-ce qui explique cette dynamique ?
D’abord, les industriels, dans tous les secteurs, ont compris l’intérêt de la diversité. Les études montrent que dès qu’un groupe compte plus de 25 % de femmes, l’efficacité collective augmente de 40 %.
Ensuite, l’industrie d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’image qu’on peut en avoir. C’est l’industrie 5.0 : robotisée, innovante, technologique, propre. Il faut simplement travailler davantage sur la désirabilité de ces métiers et montrer qu’une femme peut s’y épanouir et mener une très belle carrière.
Et puis nous vivons dans un monde avec le bruit des bottes partout. En tant que femme, quel avenir, quelle planète, voulons-nous laisser à nos enfants ? S’engager dans l’industrie spatiale ou de défense, c’est aussi faire valoir sa vision pour transformer le monde.
Pour les 20 années à venir, que souhaitez-vous pour Elles bougent ?
Mon rêve serait presque que l’association n’ait pas à fêter ses 40 ans, parce que cela voudrait dire que nous aurions réglé le problème. Mais je sais que la route est encore longue. En revanche, je suis convaincue qu’il n’y a jamais eu autant de signaux positifs pour les filles qui veulent se lancer dans les carrières scientifiques et techniques et dans l’industrie : l’industrie recrute, elle est en tension, il y a une pénurie de talents puisqu’on veut réindustrialiser la France et un besoin absolument vital de mixité. L’Éducation nationale promeut la féminisation des filières scientifiques et techniques, les industriels comprennent l’intérêt de la diversité, les associations comme Elles bougent travaillent sur l’arsenal législatif d’accompagnement. Il faut continuer d’entretenir la flamme mais il y a un alignement des planètes que nous n’avons jamais connu. Donc je dis aux filles : lancez-vous, c’est le moment !
