La montée en cadence dans l’industrie civile comme militaire et les tensions persistantes sur les fournisseurs mettent en tension l’ensemble de la filière aéronautique, spatiale et de défense, alors qu’elle doit en même temps s’adapter aux évolutions réglementaires et à un contexte géopolitique qui renforce la nécessité d’autonomie stratégique. Un environnement mouvant, dans lequel les industriels doivent donc sécuriser leur chaîne d’approvisionnement, piloter leur trésorerie avec précision, moderniser leurs outils et attirer des compétences devenues rares.
Sonia Pawlowski, associée, responsable de la practice consulting au sein de Forvis Mazars, analyse cette convergence de pressions et revient sur les leviers que le groupe d’audit, de fiscalité et de conseil franco-américain met à la disposition de ses clients pour soutenir leur performance.
Le secteur aéronautique, spatial et de défense traverse une période de tension inédite. Quels sont ses principaux enjeux aujourd’hui ?
Pour moi, il y a plusieurs enjeux. Le premier, c’est clairement le ramp-up et la pression sur la chaîne d’approvisionnement. Les carnets de commandes dans le secteur civil sont pleins et la relance des programmes de défense entraîne une très forte demande, ce qui oblige les industriels à augmenter les cadences. Cela met toute la chaîne de fournisseurs sous tension. À cela s’ajoutent des problématiques sur des matières premières clés, notamment depuis l’embargo avec la Russie, ce qui crée des incertitudes sur les approvisionnements.
Le ramp-up entraîne également une problématique autour des compétences. Le secteur a besoin de monde pour produire, mais le succès des plans de départ volontaire après covid a provoqué le départ de nombreux profils expérimentés, donc de l’expertise. Les industriels ont beaucoup recruté mais les nouvelles recrues n’ont pas le même historique et doivent gagner en compétence. Cela a ralenti les opérations et ajouté des fragilités. Or, les retards de livraisons ont un impact direct sur la trésorerie des industriels, puisque beaucoup de contrats reposent sur un paiement à terminaison.
Les chaînes d’approvisionnement sont mondiales. Dans quelle mesure la complexification de la situation géopolitique ces dernières années a-t-elle une influence sur l’activité ?
Les tensions internationales, en Ukraine et au Moyen-Orient notamment, ont renforcé la demande d’autonomie, de traçabilité et de souveraineté industrielle. Les États européens veulent être moins dépendants pour leurs approvisionnements stratégiques. Dans ce contexte, les contraintes réglementaires se durcissent, notamment sur les problématiques de conformité et d’export control pour sécuriser les chaînes d’assemblage.
La Commission européenne a également confirmé une augmentation continue des dépenses de défense, ce qui ajoute une pression sur la capacité de production et nous ramène à ce point central : la supply chain est sous tension et le ramp-up devient extrêmement difficile à gérer.
Vous parliez du renforcement des contraintes réglementaires. Quel impact cela a-t-il sur les enjeux de conformité et de cybersécurité et comment aider les clients à les gérer ?
Les contraintes se multiplient autour du contrôle des exportations, du double usage civil ou militaire, de la protection des données et de la cybersécurité. Il faut s’adapter. Mais les fournisseurs disposent souvent de moyens plus limités pour suivre ces évolutions ou investir dans la sécurité, et la chaîne d’approvisionnement devient particulièrement exposée. Or ce sont des sujets absolument critiques : une erreur d’export control relève du pénal et une cyberattaque peut entraîner des sanctions importantes, voire des suspensions de marché.
Pour répondre à ces enjeux, nous disposons de deux axes. D’abord la gouvernance, la conformité et la sécurité intégrée : cartographie des risques, sujets RGPD, export control, cybersécurité, contrôles internes et outils de pilotage associés. Nous pouvons faire ou accompagner des audits internes. Ensuite, une gestion proactive des risques, qui passe notamment par l’évaluation des fournisseurs, la mise en place de contrôles de sécurité, les audits IT et les plans de continuité ou de reprise d’activité (PCA/PRA).
Dans tous les cas, l’objectif est que les sujets de conformité et sécurité ne soient pas vus comme des freins ou des surcoûts isolés, mais comme des facteurs de résilience et de fiabilité.
Et au niveau financier ?
Dans le secteur aéronautique, spatial et de défense, nous parlons de programmes à long terme, avec des investissements lourds. Le besoin en fonds de roulement devient critique, alors que les marges sont comprimées, surtout pour les ETI et les PME. Il y a donc un gros risque, financier et au niveau de la trésorerie.
Les donneurs d’ordres sont très vigilants et auditent régulièrement leurs fournisseurs pour vérifier leur robustesse et leur capacité à investir. Sans trésorerie, on ne modernise pas et on reste en « mode survie ». Quand une fragilité est détectée, ils n’hésitent donc pas à les soutenir. Cela s’est vu avec le rachat de Spirit AeroSystems, en partie par Boeing et en partie par Airbus : c’est un fournisseur-clé et le risque de faillite était élevé.
Dans ce contexte, comment Forvis Mazars accompagne-t-il les industriels ?
Notre accompagnement dépend des enjeux, et c’est pourquoi nous avons des consultants spécialisés par métier – finance, transformation, data, analyse des risques, pilotage opérationnel – et avec une couleur sectorielle aéronautique, défense et spatial.
Sur les sujets financiers, nous aidons les industriels à structurer leur planification et leur pilotage du cash-flow : modèles de trésorerie robustes, anticipation des besoins en matériaux ou en main-d’œuvre, scénarios « what if » pour gérer les imprévus. L’objectif est de sécuriser les marges et de réduire les risques de rupture.
Nous intervenons aussi sur l’analyse des coûts, l’optimisation des achats, la renégociation des conditions fournisseurs, l’amélioration des processus de production ou encore la gestion du risque de change.
Nous sommes très présents sur les sujets de Transaction Services et M&A. Nous menons des travaux de due diligence et d’accompagnement aux opérations : évaluation des risques, des opportunités, sécurisation des opérations, identification des synergies, anticipation de l’impact sur les marges. Nous savons accompagner de bout en bout et mettre en œuvre le plan d’intégration (harmonisation des processus, des systèmes, maintien de la qualité, sécurisation des chaînes critiques) puis assurer le suivi post-transaction (reporting, indicateurs de performance…).
Et nous travaillons beaucoup avec les PME sur leurs problématiques de BFR, de prévision de trésorerie ou de rentabilité, particulièrement lorsque les retards des donneurs d’ordre entraînent des tensions.
La digitalisation est également un chantier majeur. Où en sont les industriels ?
Nous constatons beaucoup de cas d’usage de robotisation, de RPA (automatisation robotisée des processus), d’intelligence artificielle, mais ce sont des projets complexes, qui nécessitent beaucoup de coordination en interne. Le jumeau numérique est assez déployé et permet de simuler la production avant de modifier les lignes en réel.
En finance, il est difficile de trouver des cas d’usage IA concrets. C’est encore trop tôt. Mais dans ce domaine de la robotique et de la digitalisation, Forvis Mazars peut accompagner la structuration et la sécurisation de la donnée, la gouvernance, le pilotage financier (impact sur la trésorerie, sur la marge). Puis il y a un travail de « change management » à réaliser car la mise en place de tels projets a un impact sur les opérationnels et il faut les former pour s’assurer de l’adoption de ces nouvelles technologies. Rien n’est pire que de mettre en place un processus ou un outil sans accompagnement, qui n’est pas accepté par les utilisateurs.
On évoque beaucoup le retour de la souveraineté. Est-ce que cela relègue la décarbonation au second plan ?
La souveraineté européenne et la réindustrialisation sont revenues au cœur des priorités. La décarbonation reste un enjeu stratégique à long terme, on en parle simplement moins, notamment au niveau des grands programmes industriels. Pour autant, les entreprises doivent continuer à se structurer, à rendre des comptes sur les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), la traçabilité… Dans la finance, il y a également une réflexion sur les outils de consolidation au niveau des groupes, qui devront être changés d’ici 2030. C’est aussi l’opportunité de mettre en place un module spécifique pour gérer tous les sujets CSRD (directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité), soit un outil add-on.
Et dans ce contexte où la souveraineté revient comme priorité, est-ce que l’identité française de Mazars est un avantage ?
Oui, nos clients savent que nous partageons le cadre réglementaire européen et que nous offrons de la neutralité. Mazars appartient entièrement aux associés, donc nous avons une indépendance forte. Il y a une tendance qui se dessine, où certains commencent à hésiter à confier des sujets sensibles à des cabinets anglo-saxons. Il y a aussi la question de la souveraineté des données, notamment face au Cloud Act.
Le secteur doit également répondre à une pénurie de talents.
C’est un enjeu majeur, particulièrement sur les métiers techniques et d’ingénierie. Les besoins sont croissants et le secteur à du mal à attirer et retenir les talents. Il y a une véritable nécessité de diversifier les viviers de recrutement, également pour améliorer la performance : avoir une équipe variée, avec des hommes et des femmes d’origines culturelles et éducatives différentes, favorise la créativité, l’innovation, et donc la productivité.
Aujourd’hui, les femmes représentent environ 33 % des diplômés d’écoles d’ingénieurs au niveau mondial. Chez les industriels, elles sont davantage représentées dans des postes techniques de base ou de production et de moins en moins à mesure qu’on se rapproche des postes de direction. C’est une manne sous-exploitée. Il faut sensibiliser dès le collège, développer l’alternance, proposer du coaching, du mentorat et encourager les femmes à oser se positionner sur certains postes. De notre côté, nous pouvons aider nos clients en établissant des diagnostics, en mettant en place des plans d’action concrets pour attirer les talents féminins.
Comment Forvis Mazars se prépare-t-il pour les années à venir ?
Nous renforçons nos expertises – finance, transformation, risques, data, change – tout en développant une spécialisation sectorielle forte. L’idée, c’est d’avoir une compréhension fine des métiers et des contraintes propres à l’aéronautique, la défense et le spatial, pour intervenir de manière ciblée.
Nous développons aussi les compétences en data, analytics et IA, en intégrant les dimensions ESG long terme. Nous souhaitons vraiment être un partenaire de long terme, capable d’accompagner les acteurs du ramp-up à la consolidation, en passant par la conformité, la modernisation et la transformation.
