C’est un véritable tremblement de terre qui secoue Airbus et qui peut potentiellement fragiliser le géant de l’aéronautique européen pour de longues années. Avec le départ surprise de Fabrice Brégier et le non-renouvellement du mandat de Tom Enders, Airbus embarque vers une nouvelle époque qui inquiète en toute logique ses salariés, ses syndicats et même jusqu’au plus haut sommet de l’État. Pourtant Airbus ne pourra pas se permettre une longue crise de gouvernance, tant les défis sont déjà là.
Stabiliser sa gouvernance. Le secteur aéronautique se définit par des cycles longs et par une profonde mondialisation. Il n’aime pas les incertitudes et les changements de direction. Airbus va devoir prouver que son top management est indépendant de l’influence des États français et allemand. L’équipe dirigeante qui se mettra en place graduellement jusqu’au départ de Tom Enders devra aussi montrer que l’efficacité de l’activité avions commerciaux, qui représente 70% du chiffre d’affaires de l’ensemble du groupe, n’est pas remise en cause.
Gérer le Brexit. C’est un dossier important pour Airbus qui s’ouvre désormais avec la deuxième phase des négociations entre le Royaume-Uni et l’UE et qui définira les futures relations commerciales entre les deux parties. Airbus c’est aujourd’hui plus de 15000 salariés basés outre-Manche, notamment pour la production de ses voilures à Filton et Broughton. Mais l’avionneur européen dispose aussi d’une importante chaine de fournisseurs au Royaume-Uni, par exemple avec Rolls-Royce pour la motorisation de ses gros-porteurs.
Réussir ses « ramp up ». Les montées en cadence successives des programmes A320neo, A350 et A330neo restent des défis majeurs pour Airbus qui doit réduire son important backlog (6616 appareils à fin novembre).
Poursuivre sa transformation industrielle du groupe. L’apport des nouvelles technologies numériques tout au long du cycle de vie des programmes permettra d’accroitre la rentabilité du groupe Airbus. C’est la « troisième révolution aéronautique », comme la définit Tom Enders.
Confirmer la stratégie américaine d’Airbus. Le récent contrat signé avec Delta pour un potentiel de 200 A321neo reflète à quel point la stratégie américaine d’Airbus s’est révélée payante ces dernières années. Il en sera de même avec la finalisation de CSALP au second semestre 2018, sa coentreprise avec Bombardier qui assurera la production et la commercialisation des monocouloirs CS100 et CS300. La mise en place d’une ligne d’assemblage dédiée aux avions CSeries sur le site d’Airbus à Mobile est une priorité pour le groupe européen.
Assurer la montée en puissance des services. La nouvelle alliance AMA (Airbus MRO Alliance), la mise en place d’Airbus Interiors Services, de Skywise, sont autant de signes montrant la véritable volonté d’Airbus d’accroitre sa part de marché tout au long du cycle de vie de ses appareils. Il s’agit d’une tendance largement suivie par tous les avionneurs. Il en va de même dans la formation, à l’image du centre AATC à Singapour qui deviendra le plus important centre de formation d’équipage d’Airbus en 2019.
Prolonger le programme A380 jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle motorisation. C’est l’un des autres défis majeurs d’Airbus alors que le nombre d’exemplaires du super jumbo restant à livrer est passé sous la barre des 100. Il y aura sans doute de nouvelles commandes, peut-être en Chine ou aux Emirats, mais l’avionneur européen réfléchit à réduire de nouveau les cadences de production de l’A380 pour pérenniser le programme pour au moins dix ans.
Poursuivre l’ajout d’améliorations incrémentales pour la gamme d’avions commerciaux. C’est une stratégie qui a porté ses fruits et qui devra se poursuivre, en particulier sur les programmes A330neo et A350-1000. On pense évidemment aux nouvelles augmentations de MTOW, certaines annoncées (251 t pour la famille A330neo en 2020), d’autres étudiées, notamment pour mieux contrer le 777-8.
Retrouver des marges solides pour Airbus Helicopters. Après cinq ans de baisse, les commandes d’hélicoptères repartent enfin à la hausse. Airbus Helicopters a su tirer profit de cette crise pour accroître ses parts de marché au-delà des 50 % (en nombre de machines vendues), grâce à ses appareils légers. Mais le constructeur européen a vu ses marges fondre comme neige au soleil avec l’effondrement des ventes de son hélicoptère lourd H225, fortement impactées par la crise de l’offshore et l’accident de 2016. Pour retrouver sa rentabilité, Airbus Helicopters suit trois axes majeurs : la mise en service de ses nouvelles machines moyennes et lourdes, plus rentables (H160, H175 et futur X6, qui doit remplacer le H225), l’amélioration de sa production et le développement de ses services à la clientèle, qui vont devenir sa principale source de revenus.
Résoudre les problèmes de l’A400M. Le programme A400M s’est considérablement amélioré du point de vue industriel, mais des difficultés demeurent au niveau du développement des capacités tactiques de l’avion militaire et au niveau de sa fiabilité opérationnelle (taux de dispatch).
Assurer le premier tir d’Ariane 6 pour 2020. Programme majeur d’Airbus via ArianeGroup, sa coentreprise avec Safran, le lanceur qui succédera à Ariane 5 va maintenant entrer en phase de production. Sa réussite permettra de garantir la continuité de l’accès européen à l’espace à un coût compétitif.
Maintenir ses capacités de R&D. En l’absence de nouveaux programmes d’avions commerciaux durant quelques années, Airbus devra cependant veiller à être prêt pour répondre à son concurrent Boeing à partir du milieu de la prochaine décennie. Si le projet de NMA (New Midsize Airplane) de l’avionneur américain fait toujours débat, le successeur du 737 MAX entrera quant à lui nécessairement en phase de développement dans moins de 10 ans. Il s’agira alors pour Airbus de répondre à cette nouvelle génération d’appareils, ainsi qu’aux probables évolutions d’appareils comme le C919 de Comac en Chine.

