« Concurrent d’Airbus et Boeing », « rival de l’A320neo », « véritable tournant pour le secteur chinois du transport aérien »… Le moins que l’on puisse dire c’est que la presse non spécialisée s’est un petit peu envolée depuis deux jours avec la première rotation commerciale du C919 de la COMAC (Commercial Aircraft Corporation of China).
Le monocouloir chinois a relié les plateformes de Shanghai Hongqiao et de Pékin Daxing le 28 mai, sous les couleurs de son opérateur de lancement China Eastern, avec 130 passagers à bord. Il s’agit certes d’un événement important pour l’industrie aéronautique de l’empire du Milieu, d’ailleurs salué par les deux grands avionneurs mondiaux, mais point trop n’en faut.
Le programme du moyen-courrier chinois accuse aujourd’hui sept ans de retard sur son calendrier initial et le plus difficile n’est pas encore fait, avec une montée en cadence de la production qui reste à établir pour atteindre l’ambitieux objectif de 150 exemplaires par an d’ici 5 ans annoncé par la COMAC.
Le spectre des difficultés rencontrées sur le programme ARJ-21, premier avion commercial à réaction de conception chinoise et produit en série (moins d’une centaine d’exemplaires en quinze ans) est toujours bien présent, et il faudra encore beaucoup de temps pour réussir à livrer les quelque 1200 avions officiellement contractualisés par l’avionneur pour son nouveau monocouloir de 180 sièges (commandes et intentions d’achat). Pékin y mettra logiquement les moyens (Airbus et Boeing ne bénéficient pas des mêmes soutiens étatiques d’ailleurs, limitant les ventes de C919 à l’export), mais pas sûr que cela soit suffisant. En attendant, les vols commerciaux opérés en C919 vont être particulièrement scrutés ces prochains mois, histoire d’avoir une première idée du taux de disponibilité des appareils.
Il faut aussi rappeler que si le C919 vole aujourd’hui, c’est grâce à une très importante contribution des industriels aéronautiques occidentaux. Ses moteurs LEAP-1C sont produits par CFM International (coentreprise formée à 50/50 par Safran et GE Aerospace), les nacelles par Nexcelle (Safran Nacelles et Middle River Aerostructure Systems), ces systèmes avioniques par Collins Aerospace et par GE, son APU, ses roues et ses freins par Honeywell, son train d’atterrissage complet et son système de conditionnement d’air par Liebherr-Aerospace… Le biréacteur moyen-courrier dépend cruellement des savoir-faire technologiques américains et européens, une réalité qu’il convient de rappeler au regard des ambitions chinoises et qui seront particulièrement difficiles à remplacer en moins de trois décennies.
Le succès industriel et commercial du C919 de la COMAC est donc intimement lié aux relations sino-américaines, déjà exécrables et évidemment promises à un arrêt complet en cas de tentative de prise de contrôle de Taïwan par la force. Le C919 ne marquerait alors pas bien davantage l’histoire que le Shanghai Y-10, copie chinoise du 707 ayant volé au début des années 80.
Alors le nouveau « concurrent d’Airbus et Boeing » représente-t-il vraiment une menace pour le duopole mondial des avions commerciaux ? On le sait, Airbus et ses partenaires industriels planchent déjà sur une nouvelle génération de monocouloirs pour la prochaine décennie. Boeing fera évidemment de même une fois toutes les variantes de sa famille 737 MAX remises sur des rails. Quant à l’avion moyen-courrier chinois C919, il vole, enfin…