L’avenir de Boeing au sein du grand duopole de l’aviation commerciale mondiale se joue incontestablement depuis quelques semaines et les quatre boulons manquants sur le bouchon de porte du 737-9 d’Alaska Airlines ne viennent qu’illustrer ce qui semble être une longue dérive dans les processus de production de l’avionneur américain depuis quelques années.
Il ne s’agit pas d’un problème qui concerne simplement le programme 737 MAX à Renton, même si le funeste monocouloir remotorisé de Boeing est évidemment au centre des projecteurs. Il s’agit plutôt de remettre une vraie culture de sécurité au sein de tout le dispositif de production chez Boeing, et cela ne sera pas une mince affaire tant elle dépasse la simple échelle du management ou celle de la direction du groupe.
C’est une affaire qui concerne l’ensemble des salariés de l’avionneur américain, ou qu’ils se trouvent, quelle que soit leur spécialité, mais également ses fournisseurs.
La FAA vient d’ailleurs de publier un rapport final compilé par un groupe d’experts*, à la demande du Congrès américain, sur l’état du programme ODA (Organization Designation Authorization) accordé par le régulateur à Boeing. Le rapport est clairement critique sur l’érosion de la culture de sécurité au sein de l’avionneur américain, une tendance plus ancienne que les accidents des deux 737 MAX en 2018 et 2019. Ce rapport pointe notamment les lacunes des procédures mises en place en interne avec son SMS (Safety Management System), avec des procédures jugées « complexes et en constante évolution » et qui engendrent « une confusion parmi les salariés ». L’étude a également révélé « un manque de sensibilisation aux mesures liées à la sécurité à tous les niveaux de l’organisation et en particulier au sein des différents sites de production et des équipes ».
Évidemment, des têtes sont déjà tombées bien avant les conclusions du rapport, à l’instar du très récent limogeage du directeur général du programme 737 à Renton, après « près de 18 ans de service dévoué à Boeing », remplacé par Katie Ringgold, ancienne vice-présidente en charge des opérations de livraison des monocouloirs. Elizabeth Lund, en charge de tous les programmes d’avions commerciaux du groupe américain, vient quant à elle de prendre le poste de directrice de la Qualité chez BCA. Quelques semaines plus tôt, Kirkland Donald, ancien amiral de l’US Navy, était venu à la rescousse du PDG de Boeing David Calhoun en tant que conseiller spécial pour la gestion de la qualité au niveau des avions commerciaux. Mais le groupe d’experts mandatés par la FAA montre bien qu’il ne s’agit pas que d’une histoire de personnes, avec « une déconnexion entre les hauts dirigeants de Boeing et les autres membres de l’entreprise concernant la politique de sécurité ».
Boeing a désormais 6 mois pour remettre la Safety au coeur de son outil de production, avec des changements de mentalité qui devront largement dépasser le respect de nouvelles règles ou le contrôle de ces améliorations.
L’année dernière, Airbus inaugurait son Safety Promotion Centre au coeur de ses opérations à Blagnac, une initiative visant à promouvoir la sécurité au sein de toutes ses équipes afin d’améliorer de façon plus générale la sécurité des opérations aériennes de ses avions commerciaux. L’idée était de susciter un engagement plus profond de ses salariés vis-à-vis de la sécurité pour en faire un véritable état d’esprit, même loin des lignes d’assemblage. Peut-être un modèle à suivre à Seattle ?
(*) Le rapport de 50 pages est disponible sur le site de la FAA en cliquant ici !