L’industrie aéronautique belge ne compte pas rester en retrait au salon du Bourget. Près de 90 sociétés seront présentes au salon du 16 au 19 juin, dont près de 80 sur le pavillon belge (situé au hall 2B). Le pôle de compétitivité Skywin sera parmi elles, pour remplir l’une de ses missions phares : représenter et promouvoir le secteur aéronautique wallon. Entretien avec Etienne Pourbaix, son directeur général, qui revient sur ses missions et ses forces.
Comment est né Skywin ?
Il s’agit d’une initiative du gouvernement régional wallon, lancée il y a dix-sept ans. En Belgique, l’innovation et l’économie sont des compétences régionalisées, et la Wallonie a décidé de créer six pôles de compétitivité, autour des secteurs les plus susceptibles de générer de la valeur ajoutée, de l’emploi, etc. L’aéronautique et le spatial faisaient partie de ces filières stratégiques, d’où la création de Skywin. Notre modèle est similaire à celui d’Aerospace Valley ou du pôle ASTech en France, avec le regroupement d’industriels, de centres de recherche et d’universités.
Comment le pôle est-il structuré ?
Nous sommes un partenariat public-privé. Environ 60 % de nos fonds de fonctionnement proviennent de la région wallonne et 40 % des cotisations des membres et d’un pourcentage prélevé sur les projets labellisés. Malgré ce financement majoritairement public, notre conseil d’administration est entièrement composé d’industriels et ce sont eux qui fixent les grandes orientations.
Quelle est la taille actuelle de Skywin ?
Nous comptons environ 150 membres, dont plus d’une centaine d’industriels. Les autres membres sont des centres de recherche, des universités et quelques centres de formation. L’aéronautique représente environ 70 % de notre activité, le spatial autour de 25 %. La défense, quant à elle, est en croissance, mais celle-ci est difficile à quantifier en raison du caractère souvent dual des sociétés dans ce domaine.
Et quel est le poids du secteur aéronautique et spatial sur le plan économique ?
Nous estimons à 10 000 le nombre d’emplois industriels directs dans le secteur aéronautique en Wallonie. Et si nous ajoutons les emplois indirects, c’est au moins le double. Le budget dépasse aujourd’hui les 2 milliards d’euros par an – nous avons dépassé notre niveau pré-COVID –, ce qui est très significatif, d’autant qu’il reste sur une dynamique positive.
Il est aussi intéressant de noter que, contrairement au reste de l’économie belge, l’aéronautique est plus développée en Wallonie qu’en Flandre. Ce sont des héritages issus de l’industrie métallurgique.
Quelles sont les missions du pôle Skywin ?
Nous avons deux grandes missions. La première est de piloter les projets d’innovation collaborative, en recherche appliquée, et de maintenir le secteur à la pointe de l’innovation. Pour être labellisé, un projet doit associer au moins quatre partenaires : deux industriels et deux acteurs de la recherche (centre ou université). L’industriel est toujours porteur du projet, ce qui garantit la valorisation industrielle.
Notre travail commence en amont du projet, notamment avec une veille technologique permanente pour détecter les thématiques susceptibles de générer des projets. Ensuite, nous accompagnons nos membres dans le montage des projets, avant que ceux-ci soient soumis à une phase de sélection en deux temps : une évaluation technologique avec des jurés indépendants au sein du pôle et une évaluation économique faite par un jury générique. Une fois labellisés, les projets ont droit au financement le plus élevé que permet la Commission européenne : les universités peuvent être financées à 100 %, les centres de recherche à 80 %, et les entreprises entre 45 % et 75 % en fonction de leur taille.
Depuis le lancement opérationnel du pôle, nous avons labellisé 103 projets dans le cadre de 43 appels. La très grande majorité – plus de 90 – sont des projets de R&D. Cela représente un budget cumulé de plus de 300 millions d’euros, ce qui est très important pour une région qui compte 3,5 millions d’habitants.
Et quelle est la deuxième mission de Skywin ?
Nous sommes les ambassadeurs du secteur aérospatial wallon à l’international. Nous représentons la Wallonie sur de nombreux salons comme le Singapour Air Show ou le Dubai Air Show. Et bien sûr au Bourget, qui est l’événement incontournable. Nous y venons avec le pavillon belge, mais aussi avec un chalet wallon, situé à côté de celui du GIFAS. Ce chalet est un outil de visibilité exceptionnel. Il permet d’organiser des événements ciblés, des petits-déjeuners thématiques. Cette année, par exemple, nous y présenterons les résultats du programme WINGS, ainsi qu’un événement sur la défense, en lien avec l’Agence wallonne à l’exportation.
Quels liens entretenez-vous avec la France ?
Nous avons des liens très étroits, notamment avec Aerospace Valley. Nous menons des actions communes comme des webinaires entre centres de recherche et industriels wallons et toulousains. Nous avons aussi des relations avec ASTech, avec le pôle EMC2 sur le génie mécanique, ou encore avec Photonics Bretagne, avec qui nous avons même monté des projets collaboratifs. Et à l’international, nous travaillons beaucoup avec le Québec, notamment avec AeroMontréal et le CRIAQ.
Quels sont les locomotives de l’industrie aéronautique wallonne ?
Deux grandes entreprises jouent un rôle moteur. D’abord Safran Aero Boosters, à Herstal, qui produit notamment les compresseurs basse pression du moteur LEAP, utilisé sur les Airbus A320, les Boeing 737 et le C919 de Comac. Ils sont aussi impliqués dans les moteurs GE9X du 777. C’est un acteur majeur, avec plus de 1 600 collaborateurs, et une part de marché très significative. Il a inauguré deux installations en sept mois : un centre d’essai très impressionnant (BeCOVER) et une nouvelle usine d’aubes de compresseur en titane près de Liège, pour réinternaliser la production. Lors de l’inauguration de l’usine, Olivier Andriès, le directeur général de Safran, a envoyé des signaux très positifs sur sa coopération avec l’industrie belge et wallonne et sa confiance dans l’écosystème, donc c’est une association qui devrait continuer et se développer.
Ensuite, Sonaca, à Charleroi, est spécialisée dans les aérostructures. Leur produit phare, ce sont les bords d’attaque d’aile pour tous les avions Airbus ; ils sont en single source, ce qui est très rare aujourd’hui. Ils ont une responsabilité produit totale : ils se chargent de la conception et de la fabrication.
Quels sont vos autres points forts, d’un point de vue innovation ?
Nous avons développé des compétences fortes en modélisation numérique et en simulation, notamment sur le comportement des matériaux, à la fois au sein des centres de recherche et des entreprises qui ont des solutions intégrées. Par exemple, pour les bords d’attaque de Sonaca, la question des impacts aviaires est cruciale. Il faut comprendre comment réagit un composite face à un choc. Il y a bien sûr des tests physiques, mais en amont, la modélisation permet de réduire les coûts et d’accélérer les cycles de développement. C’est un domaine où nos PME sont particulièrement performantes.
Quelle est la place du spatial ?
Nous avons environ 50 acteurs impliqués dans le spatial, dont une vingtaine de « pure players ». Cela va de la fabrication de structures de satellites à la propulsion, en passant par les systèmes d’alimentation électrique embarqués.
Nous sommes aussi bien positionnés dans l’optique, notamment sur les capteurs optiques et hyperspectraux pour l’observation de la Terre. Ce sont des composants critiques pour les satellites, et plusieurs entreprises wallonnes maîtrisent ces technologies. Certaines sont présentes sur des missions de l’ESA ou sur des programmes institutionnels européens.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le programme WINGS ?
WINGS – Walloon Innovation for Green Skies – a été lancé pendant le covid pour maintenir l’emploi et l’expertise dans les bureaux d’études. La région Wallonie a investi 100 millions d’euros pour les faire travailler exclusivement sur des solutions d’aviation décarbonées. Nous avons fédéré vingt partenaires : grandes entreprises, PME innovantes et centres de recherche. Plus de 200 ingénieurs ont travaillé sur des projets portant sur de nouvelles architectures moteur (open fan), des ailes plus grandes et repliables, des matériaux innovants, etc. C’est un projet stratégique, qui arrive prochainement à son terme.
