Interview : « Nous sommes condamnés à croître », Thierry Aucoc, VP commercial d'Emirates pour l'Europe

Propos recueillis par Emilie Drab
le 12/06/2023 , Compagnies aériennes régulières
Après avoir enregistré un chiffre d'affaires et des bénéfices record en 2022, Emirates a tourné le dos à la crise économique pour s'engager pleinement à la préparation de sa croissance à venir. Plus de deux cents appareils sont dans les carnets de commandes d'Airbus et Boeing et n'attendent plus que d'être produits, et d'autres pourraient venir s'y ajouter prochainement à en croire les déclarations de Tim Clark, le président du groupe. Thierry Aucoc, vice-président commercial d'Emirates pour l'Europe et la Russie, et Cédric Renard, directeur général d'Emirates en France, évoquent pour le Journal de l'Aviation certains des grands sujets qui occupent la compagnie.


Emirates a publié des résultats record pour l'année 2022, avec un retour à près de 80 % des capacités pré-covid. A quel niveau se trouvent ces capacités en France ?

Thierry Aucoc : Nous avons retrouvé les capacités pré-covid sur la France. Dans le monde, pas tout à fait et pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'il y a des retards dans les livraisons d'avions. Ensuite, la maintenance des appareils qui avaient été immobilisés durant la crise est assez lourde avant de pouvoir les remettre en service donc ils ne sont pas encore tous de retour. Ajoutez à cela le rétrofit qui immobilise des avions en permanence, et nous arrivons à une offre un petit peu inférieure à celle pré-covid. Il nous faudra encore au moins une année pour la retrouver.

Cédric Renard : Actuellement, nos 150 Boeing 777 sont en service et quatre-vingt-dix de nos 116 A380 sont opérationnels - ils seront cent à la fin de l'été.


Est-ce que les retards observés de façon générale dans les livraisons d'avions vous pénalisent et vous empêchent d'augmenter votre offre aussi rapidement que vous le souhaiteriez ?

Thierry Aucoc : Bien sûr, nous ne sommes toujours pas au niveau pré-covid donc toute livraison d'avion serait la bienvenue. Cependant, il faut attendre et c'est ce que nous faisons depuis l'année dernière. C'est à nous de nous organiser. Ce serait gênant si certaines compagnies recevaient des avions et les autres pas. Mais nous sommes tous dans cette situation où nous attendons nos avions avec impatience.


Pour quand attendez-vous un déblocage ?

Thierry Aucoc : Il nous reste une petite année à attendre pour avoir nos Airbus A350. Ils arriveront à compter d'août 2024 et nous en attendons cinquante. Dès qu'elles seront engagées, nous aurons une, deux ou trois livraisons par mois donc ce sera rapide. L'A350 est un avion qui correspond parfaitement à certaines destinations qui ne supportent pas de très gros volumes et où un Boeing 777 serait trop grand - nos Triple Sept comptent environ 360 sièges, les A350 en auront autour de 280. Il nous permettra de répondre encore mieux au besoin de développement des capitales régionales, alors que nous avons une très forte demande de la part des régions et des aéroports, notamment en France, pour renforcer nos programmes et leur connectivité.
Nous avons par ailleurs 115 777X et trente 787 en commande, que nous attendons à partir de 2025.


Il est également question d'une nouvelle commande à venir pour entre 100 et 150 appareils supplémentaires. Quelle serait leur mission ?

Thierry Aucoc : Cette commande sera à la fois pour du renouvellement de flotte et de la croissance. L'âge moyen de la flotte est de huit ans, nous ne voulons pas passer au-dessus. Il faut remplacer les appareils qui sont progressivement retirés - notez que nous avons encore quinze ans d'exploitation pour l'A380, dont le dernier exemplaire sera retiré en 2038. Et, en parallèle, il faut continuer à croître. Nous sommes condamnés à croître.


Depuis le début de la reprise, on constate que le prix des billets a augmenté de façon générale, sans que cela ait encore une incidence sur la demande. Cela peut-il durer ?

Thierry Aucoc : Il y a une vraie loi de l'offre et de la demande, et la demande est pour le moment très forte. Quant à nous, nous avons dû répondre à des augmentations de coûts notables, que ce soit pour le carburant, l'aéroport... Nous avons vu 20 % d'augmentation sur le coût d'un plateau repas. Nous avons dû augmenter les prix pour conserver une marge décente. Et effectivement, pour le moment, nous n'avons pas vu la demande baisser.


Malgré les difficultés des dernières années, vous n'avez pas renoncé aux investissements et l'un des exemples de cela est le déploiement sur la flotte d'une nouvelle classe de voyage, la Premium Economy. Où ce déploiement en est-il ?

Thierry Aucoc : Huit A380 ont été réaménagés à ce jour. La Premium Economy a été placée sur Paris mais uniquement le temps d'un test. Nous la proposons plutôt sur des vols long-courrier, vers New York, vers l'Australie. C'est là qu'est le vrai bénéfice de ce produit, là que nous ferons vraiment la différence. Elle s'adresse aux personnes qui n'ont pas le budget pour la classe affaires mais qui font un voyage long et aimeraient davantage de confort. Elle fonctionne très bien : elle est pleine sur l'Australie, elle marche très bien sur Londres et New York, et permet de proposer une continuité du produit sur les vols en correspondance. A terme, la moitié de la flotte sera équipée cette cabine.
Cédric Renard : Il y a un réel changement de concept par rapport au produit qu'on connaît ailleurs, puisqu'il s'agit d'une vraie cabine séparée des autres, pas quelques rangées à l'avant de la cabine économique. Elle est dotée d'un siège différent, avec six positions de relaxation, notre équipage vient saluer, sert un vin pétillant... vous retrouvez les codes d'une classe affaires. Les retours sont excellents.


Dubaï est aujourd'hui un hub international incontournable mais il est concurrencé, notamment par la Turquie. Est-ce qu'Emirates ressent cette concurrence croissante de Turkish Airlines et Istanbul dans ses opérations ?

Thierry Aucoc : Turkish Airlines est une compagnie établie, qui a des centaines d'avions, qui se modernise, qui a un nouvel aéroport et qui est un véritable concurrent. Mais il y a aussi une demande énorme, les gens ont envie de voyager et toutes les compagnies en bénéficient : cela s'est traduit l'année dernière par un coefficient de remplissage de 80 % pour Emirates.

Cédric Renard : Nous avons aussi la chance d'avoir une vraie destination. Dubaï est la 4e ville la plus visitée au monde, c'est une destination à part entière, touristique bien sûr mais aussi, et surtout, économique et financière. Nous avons la chance d'avoir une destination qui vit tout au long de l'année, qui accueille des événements internationaux majeurs, et le plus grand hub international au monde, avec la connectivité que vous connaissez.

Thierry Aucoc : Nous avons un modèle très robuste, très puissant, avec une expérience de voyage qui est unique. Nous regardons tout le monde, nous sommes toujours vigilants, nous nous assurons de toujours avoir le meilleur rapport qualité-prix et surtout nous continuons à investir, à innover, en termes de flotte et de produit.


Et les projets de l'Arabie saoudite dans l'aérien pourraient vous inquiéter ?
Thierry Aucoc : L'Arabie saoudite, avec Riyadh Air ou Neom, c'est un cas tout à fait différent. Là, on part de zéro. Mais une compagnie aérienne ne se crée pas comme ça, il faut avoir des avions et ce n'est pas si facile à trouver, il faut du personnel formé, il faut s'organiser au niveau des systèmes, au niveau IT... Tout cela prend beaucoup de temps donc nous pourrons voir venir. Le projet est également différent : l'Arabie saoudite veut principalement développer le tourisme dans le pays, pas développer un hub.
 
 

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