Le 14 juillet 2019, deux PC-21 ont survolé pour la première fois les Champs-Élysées, inaugurant ainsi leur arrivée au sein de l'armée de l'air fin août 2018. L'équipe du Journal de l'Aviation est allée à la rencontre du lieutenant-colonel Nicolas Leprince « Little », commandant de l'école de pilotage de l'armée de l'air (EPAA) à Cognac afin de vous expliquer tous les secrets du défilé aérien et la formation rigoureuse des élèves pilotes de chasse.
Vers un nouvel avenir
Little sent la pression augmenter de jour en jour. Il totalise plus de 3 000 heures de vol et pourtant il a conscience des enjeux du défilé. Le vol peut sembler anodin or il est loin d'être une simple routine et ne se résume pas à une ligne droite entre l'Arche de la Défense et la place de la Concorde, derrière le passage traditionnel de la Patrouille de France. Une coordination minutieuse est la clé de la réussite et de nombreuses heures de briefing ont été indispensables avant l'exercice de répétition du 11 juillet, réalisé pour parfaire l'orchestration du grand jour. L'émotion de Little est à son comble :
« C'est un honneur pour moi de participer à ce défilé aérien : je suis fier de transmettre les valeurs de l'armée de l'air en présentant le nouvel avion d'entraînement, le PC-21, et je suis d'autant plus ému que ma famille sera dans les tribunes cette année. La photo doit être belle et pour cela, il faut maîtriser tout un ensemble d'éléments comme notamment la prise en compte du vent, la gestion du temps ou la synchronisation des appareils dans les différents blocs. »
Le chronomètre a déjà commencé bien avant que le président de la République ne prenne place dans la tribune officielle. Les aéronefs, espacés verticalement et longitudinalement tournent déjà dans des hippodromes d'attente crées pour l'occasion aux quatre coins du ciel parisien. Les aéroports tels qu'Orly et Roissy Charles de Gaulle ont d'ailleurs gelé leurs activités afin de laisser évoluer les 107 appareils, sans compter ceux qui veillent spécifiquement à la sûreté de l'espace aérien.
« Autant dire qu'il y a de la « ferraille » en l'air ce jour là ! L'alignement doit être impeccable et il faut intégrer tout un ensemble de paramètres pour que la formation soit parfaite car les avions n'ont pas tous la même vitesse. Il faut être au même endroit et au même moment dès que le départ est donné ! Les variations entre nos différentes vitesses d'évolution (170 Kts pour les TB-30 Epsilon et 240 Kts pour le Pilatus) nous permettent de générer les 40 secondes d'espacement entre l'Arche de la Défense et la place de la Concorde, mais il faut être précis et respecter le timing en toutes circonstances et la tâche est ardue pour notre bloc de quatre avions constitué de deux Pilatus et deux Alphajet. Je dois maintenir un alignement permanent sur l'avion leader qui se trouve devant moi et pour cela, j'ajuste sa quille arrière et son envergure sur le viseur tête haute (VTH) (ou Head-Up Display, HUD) et je ne dois plus en bouger. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas une seconde pour admirer le paysage, même si l'oeil est attiré par la Tour Eiffel ou l'Arc de Triomphe. C'est quelque part un peu frustrant de vivre intensément cette commémoration sans en conserver intérieurement l'image du survol de Paris ! Le PC-21 est un avion formidable et l'ensemble des technologies récentes installées à son bord, permet non seulement un pilotage précis mais aussi une transition aisée vers le Rafale pour les élèves en formation. Les pilotes formés à Cognac acquièrent ainsi d'excellentes connaissance des systèmes modernes et un savoir-faire exemplaire avant de voler sur un avion supersonique. »
L'armée de l'air a un attachement très fort à ses traditions et les différentes cérémonies et faits d'armes viennent enrichir continuellement son histoire. Les noms des escadrilles sont un héritage des premiers groupes de bombardement ou de chasse et les insignes traversent le temps sur les flancs des avions et les portes des escadrons. Cigognes ou La Fayette sont tout autant des noms issus de la Première Guerre mondiale, ou de la seconde comme Provence, Vaucluse ou Ardennes. Les aviateurs n'échappent pas non plus aux traditions et ont, pour la plupart, un pseudonyme attribué tout en étant lié initialement à leur nom de famille. Le lieutenant-colonel Leprince avait un nom prédestiné et lorsqu'il a intégré son premier escadron, le 1/33 Belfort (un des derniers escadrons de l'armée de l'air équipés de Mirage F1 CR avant d'être dissous) : il reçoit le surnom de Little qui lui a été donné en hommage à l'escadrille « Petit Prince », créée lors de la guerre d'Algérie. Le pilote passionné relate avec enthousiasme ce défilé du 14 juillet 2019, qui pour lui est d'autant plus fort qu'il symbolise ce précieux héritage des traditions :
« Ce vol en Pilatus est pour moi plein d'émotions car une page s'ouvre vers une nouvelle ère. En effet, en 2014, j'ai eu la chance de participer au dernier vol du Mirage F1 CR lors du défilé aérien. Un bloc de cinq avions survolait pour la dernière fois Paris et nous étions tous particulièrement touchés par ce vol. Avec le leader et l'ensemble des équipages, nous avions préparé ce vol mythique conformément aux exigences et avions anticipé toutes les possibilités liées aux contraintes du jour. Nous avions tout prévu : même si le Mirage F1 CR avait une centrale à inertie recalée GPS, le leader avait tracé avec précision un run sur une carte aéronautique. Ce dessin, baptisé pour l'occasion « The Legend Run », aurait été utile en cas de panne du système. C'était une belle aventure de cohésion et de partage comme l'on trouve au sein de l'armée de l'air. Nous étions tous unis pour ce vol et c'est avec une grande fierté que nous avons présenté l'avion de chasse légendaire au public. Une fois posé, j'avoue avoir senti les larmes me monter aux yeux lorsque j'ai entendu le moteur s'éteindre progressivement dans son dernier souffle. Une page se tournait et aujourd'hui, je suis heureux d'avoir mis en route la turbine du PC-21 pour son premier survol au-dessus de la capitale. Ces deux vols représentent une belle histoire et maintiennent toujours un cap vers la modernité et l'excellence. »
Du PC-21 au Rafale : une formation graduelle et adaptée
La première promotion PC-21 a réalisé son vol inaugural le 4 juin 2018 sur la base aérienne de Cognac. Les élèves ont découvert un petit avion de chasse aux performances étonnantes, un « full-glass » cockpit impressionnant et un profil aussi harmonieux que guerrier. Deux simulateurs permettent également aux équipages de s'entraîner afin de se familiariser avec l'instrumentation de bord et s'approprier les procédures normales et d'urgence. Le lieutenant Jules, élève, partage ses premières impressions :
« Au début, on se sent un peu perdu malgré le travail de préparation. J'arrivais du Grob 120 et même si les avions sont très différents, on oublie vite la turbine. Autant le Grob est un peu pataud, autant le Pilatus est très réactif. Il est ultra-maniable et c'est très déconcertant lors des premiers vols. Je ne suis qu'au début de ma formation, et pourtant chaque mission d'entrainement est excitante. Je n'ai pas encore volé seul à bord [ndlr : ce qu'on appelle le vol solo ou « lâcher »] et je suis toujours en apprentissage. La nouveauté pour moi est la tenue de vol, c'est la totale ! Casque, pilotage sous oxygène et combinaison anti-G. L'avion est pourvu de sièges éjectables de type MK 16C, ce qui peut paraître impressionnant. On se sent oppressé avant de s'habituer progressivement. D'autant plus que lors des deux vols d'accoutumance, j'ai ramassé en combat air-air avec des vario de plus de 4000 Ft/min et un taux de roulis de 200°/seconde ! Mais les moniteurs sont justes et bienveillants même si l'on doit savoir se juger soi-même. »
L'école de pilotage de l'Armée de l'Air compte à ce jour dix-sept PC-21 et trente-cinq instructeurs ont été qualifiés pour assurer la formation avec ce nouvel avion. Jusqu'à ce jour, le programme a été respecté en temps et en heure et le lieutenant-colonel Leprince transmet son expérience sur TB-30 Epsilon, Grob 120 et Pilatus à de jeunes stagiaires avides de connaissances dont la réussite lui tient toujours à coeur :
« Les plus beaux vols sont ceux pour lesquels nous avons été entraînés. Lorsque l'un de mes stagiaires rencontre certaines difficultés, comme par exemple le vol en patrouille serrée, je prends le temps de lui expliquer de façon différente. Quand je constate le déclic et que j'ai réussi à supprimer ses blocages, c'est un réel bonheur et c'est ma victoire au quotidien. »